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chemin. Plus d’un historien de la musique et de la littérature a raconté ces débuts difficiles et tout ce que les petits maîtres de la foire, un Favart par exemple, eurent à dépenser de courage et de malice pour assurer à l’opéra-comique le droit à l’existence et à la liberté.

Qui ne prétend pas remonter jusqu’au Jeu de Robin et de Marion, peut tenir pour les deux premiers exemplaires du genre : le Devin de Village, représenté en 1752, et les Troqueurs, de Dauvergne, qui parurent l’année d’après. L’un et l’autre ouvrage, comme ceux de l’Italien Duni, comme les Aveux indiscrets, le Roi et le fermier, Rose et Colas, de Monsigny, ne s’élèvent guère encore au-dessus des « pièces à ariettes » ou « à chansons. » Il y a plus de musique, et de plus forte, chez Philidor, le maître trop ignoré de l’opéra-comique avant Grétry, supérieur même à Grétry par la technique et le savoir, sinon par le génie. Ses contemporains ne parlent guère autrement de lui que nous n’avons parlé de Wagner, avant de le comprendre : « Les oreilles, étonnées d’être remplies pour la première fois, se crurent assourdies. L’expression des paroles, rendues d’une façon nouvelle, ne fut point d’abord sentie. Parce que ce musicien transporta dans l’orchestre les passions qu’il avait à peindre, afin de conserver au chant sa simplicité, on lui refusa de l’expression, et parce qu’il ne s’astreignit point à donner à toutes ses ariettes la tournure carrée ou monotone d’une brunette ou d’une romance, on nia qu’il eût du chant[1]. »

En ce genre partagé de l’opéra-comique, la musique entreprend et gagne sur les paroles chaque jour davantage. Aussi bien son pouvoir s’accroît en même temps que ses exigences. Il est singulier que Beaumarchais, tout musicien qu’il était, ne s’en soit pas rendu compte. On connaît sa réponse à une dame qui lui demandait pourquoi il n’avait pas fait un opéra-comique du Barbier de Séville, la pièce étant d’un genre à comporter la musique. « Notre musique dramatique, écrivait-il (en 1775), ressemble trop encore à notre musique chansonnière, pour en attendre un véritable intérêt ou de la gaieté franche. » Il montrait ou beaucoup d’ignorance ou beaucoup d’injustice, car la musique qui venait de produire, dans la même année (1769), le Tableau parlant et le Déserteur, n’en était plus aux chansons.

  1. Article de Framery dans le Journal de musique (mai 1770). Cité par M. Arthur Pougin dans son livre sur Philidor.