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les dessous de ce luxe, de ces conquêtes, le prix que paye le peuple pour ce qui ne lui rapporte rien :

« Vous dévorez des continens tout entiers, n’importe, la moitié d’entre vous a le ventre vide. Non pas aujourd’hui pourtant où chacun se trouve satisfait de la tranche de bœuf et de l’orange d’un sou qu’on lui a mises sous la dent au milieu de cette orgie de richesses ! »

Idée diabolique qu’a cet homme de rappeler comme il le fait, en pleine trêve, toutes les misères un instant oubliées, de les passer en revue une à une à la lumière du bienheureux Jubilé. On se détourne de lui pour aller boire ; à tous les étages, dans tous les taudis, ce sont des bacchanales, et Covey résume l’impression générale contre le nihiliste en disant : « Ce que dégoise ce bavard-là vous donne comme un mauvais goût dans la bouche. »

Mais Azraël ne se borne pas à dégoiser ; il plante une bombe contre le somptueux hôtel de sir Marmaduke, le potentat des nouvelles forces aristocratiques, grands seigneurs de fraîche date qui, sortis du commerce et de l’industrie, refusent volontiers connaissance à toute noblesse antérieure aux Georges.

Azraël, lorsqu’il jette cette bombe, croit agir avec le désintéressement sublime d’un être qui ne connaît que les questions générales, n’admet ni frontières ni nationalités et ne hait que l’oppression sans daigner s’informer du nom des oppresseurs. Consumé par le sentiment de l’effroyable injustice sociale, il prétend n’en tirer vengeance que pour épouvanter les tyrans et les amener à capitulation. Mais sa haine, dite impersonnelle, a des dessous peut-être ignorés de lui-même. S’il a choisi la maison de sir Marmaduke pour la faire sauter, c’est que sir Marmaduke, intéressé dans toutes les grandes affaires, tire une partie de ses revenus énormes de cette Union du caoutchouc de la Grande-Bretagne et des Colonies dont les miasmes ont causé la mort de la petite Nancy. Nancy plaisait à Azraël. Il l’a prouvé par une harangue incendiaire à l’enterrement de la pauvre fille, et aujourd’hui il se venge comme le commun des mortels, tout en croyant de bonne loi être l’impassible messager de la justice. Au reste ce jour de vengeance sera le dernier de sa vie. Il a compté sans Tilda qui lui arrache des mains l’engin meurtrier et périt avec lui dans la lutte.

Ces fragmens ne peuvent donner qu’une vague idée d’un récit