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« — Soit, répondit-il, je suis mieux qu’à l’hôtel. Je n’ai pas de note à payer et j’ai un lord à mon service.

Le drôle ne cessait, par parenthèse, de faire passer de longs factums à toutes les loges maçonniques pour les intéresser à lui. »

Pendant la dernière partie de son incarcération, N… fut employé aux ateliers de reliure, branche très importante de l’industrie de la prison ; il prit goût à cette besogne, y devint assez habile. Sans doute l’exercice physique lui manque beaucoup, mais tous les hommes étant fouillés quatre fois par jour et cette opération se produisant dehors, c’est une gorgée d’air pur que l’on avale, en outre des vingt minutes passées chaque matin dans la cour. La réforme que réclame avec le plus de chaleur le no 131 rendu à la liberté, est une heure entière par jour d’exercice au grand air. En être privé, pour certains tempéramens, devient torture et les démoralise.

Un esprit de corps curieux et touchant s’est éveillé chez lui pour ses compagnons de captivité ; il s’est attaché à beaucoup d’entre eux sans tenir compte de leurs crimes.

— La clubbabilité, dit-il, est une qualité innée chez l’Anglais et ce besoin de club s’affirme en prison autant qu’ailleurs. Certainement il y avait assez de variétés d’individus chez nous pour former un tout harmonieux ; la plupart des professions étaient représentées : médecins, avocats, clergymen, soldats, marins, instituteurs, les hommes d’affaires en majorité, bref un peu de tout, sauf le clergé catholique. Les prêtres de cette religion s’arrangent pour n’entrer dans les geôles que dans l’exercice de leur ministère.

Il n’est pas superflu de dire que lord N… est catholique ; le chapelain de la prison lui prodigua des marques de bienveillance qu’il aime à rappeler. Avec l’espèce de naïveté qui reste aux hommes forts à travers les plus extraordinaires vicissitudes, il raconte comment, ayant été dispensé d’un quart de sa peine, en vertu des points gagnés par sa bonne conduite, il échangea l’uniforme de la prison contre les habits envoyés par son tailleur et l’impression qu’il eut, ainsi vêtu, de redevenir lui-même.

Son ami le chapelain vint le prendre en voiture et lui fit faire le premier bon déjeuner qui lui eût été servi depuis près de quatre ans, — impression inoubliable. Un autre prêtre qui l’avait connu dès son enfance l’emmena ensuite à Londres et aplanit pour lui