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parlementaire, lisait-on dans le Volume en 1901, a pensé qu’après avoir dépensé sans compter pour fabriquer des canons, elle pouvait accorder un morceau de pain à ceux qui travaillent à faire une France républicaine. » M. Payot ne prévoyait peut-être pas la portée de l’insinuation : le budget de la Guerre allait, pour l’instituteur français, devenir l’ennemi. Ce que le Volume s’était contenté d’indiquer, la Revue de l’Enseignement primaire devait le répéter chaque semaine, avec des invectives incessantes contre les « parasites galonnés ; » et M. Hervé gagnait ainsi la confiance de « ceux qui travaillent à faire une France républicaine. » Enfans déshérités de la patrie marâtre, nos instituteurs allaient regarder le budget de la Guerre comme un avantage insolent accordé par cette Patrie à des enfans plus privilégiés, qui représentaient la sauvagerie ; et c’était autant de perdu pour le budget de l’école, de la civilisation.

« Pour augmenter la solde des officiers, écrivait un instituteur de la banlieue de Paris, on n’hésite pas. Entre l’armée, qui sert à défendre ses propriétés, et l’éducateur du peuple, qui travaille à l’émancipation de la classe prolétarienne, la bourgeoisie n’hésitera pas. » Dans l’Hérault, les délégués au conseil départemental se déclaraient décidés à imposer la cessation des gaspillages dans le budget de la Guerre et de la Marine ; souverainement, ils prétendaient réviser le chapitre du budget concernant la défense nationale. La Revue corporative parlait avec amertume du Tonkin, dont la conquête avait forcé le gouvernement d’ajourner l’amélioration du traitement des instituteurs : « Si les expéditions du Tonkin, du Dahomey, de Madagascar et de Chine étaient à recommencer, les millions surgiraient de terre, comme par enchantement. » On induisait chaque « primaire » à jalouser ces millions, et à se croire frustré par les dépenses qu’exigeait l’honneur du drapeau. Alors, dans le Bulletin des Amicales de la Drôme, un instituteur jetait toute sa pensée : en face de cette « bourgeoisie assoiffée d’or qui repousse le désarmement simultané des nations, » il conviait ses collègues à « arracher les peuples aux griffes monstrueuses de l’ogre militariste. »


Les parlementaires bourgeois, qui jettent l’or à pleines mains quand il s’agit des budgets de la Guerre et de la Marine, viennent à nous les mains vides et nous disent : Il n’y a pas d’argent ! Les millions viendront à nous quand nous aurons fait l’éducation pacifique de la multitude, et quand cette multitude ne bâtira plus des colonnes Vendôme et des arcs de