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patriotique devait être absente, il fallait du moins qu’elle gardât un rôle dans l’instruction morale et civique. M. Devinat jugea nécessaire, à ce propos, de faire acclamer une résolution qui ne laissât aucun doute sur l’état d’âme des instituteurs français. « Les sentimens patriotiques à enseigner à l’école, déclara-t-il, doivent être ceux de citoyens français, sans préjugés contre les autres nations, profondément amis de la paix, et prêts à tous les devoirs que commande la sécurité du pays. » Le directeur de l’Ecole normale d’Auteuil s’efforçait, par cette formule, de satisfaire aux aspirations pacifiques et de rassurer les susceptibilités patriotiques. Mais un instituteur de la Dordogne prévalut sur M. Devinat. Le texte qu’il proposa était ainsi conçu :


Les instituteurs français sont énergiquement attachés à la paix ; ils ont pour devise : Guerre à la guerre ! Mais ils n’en seraient que plus résolus pour la défense de leur pays, le jour où il serait l’objet d’une agression brutale.


C’est à cette rédaction que les congressistes se rallièrent ; elle fut votée par acclamation. Ainsi les instituteurs réunis à Lille, ont affirmé qu’en cas d’agression brutale, la France les aurait pour défenseurs : nous prenons acte de cette promesse, et nous espérons qu’elle marque une rupture définitive entre les maîtres de notre enseignement primaire et les doctrines de désertion prêchées par M. Gustave Hervé. Mais, dans l’affectation qu’ils mettent à définir le cas précis pour lequel leur dévouement demeure acquis à la France, faut-il voir une sorte d’indication par laquelle ils signifieraient aux pouvoirs publics que l’épée de la France ne doit plus être tirée pour des questions d’honneur ou pour des intérêts coloniaux ? Notre familiarité avec les revues pédagogiques de ces dernières années nous induit d’autant plus à poser cette indiscrète question, que les instituteurs de la Lozère, il y a quelques semaines, prononçaient assez étourdiment une sentence de « déshonneur » contre toute guerre qui n’aurait pas formellement pour but « la libération, l’indépendance ou la défense du pays. » Et même en acceptant la formule lilloise, sait-on toujours, lorsque éclate une guerre, quel est l’agresseur[1] ? et quelles conditions exigeront, enfin, nos minutieux congressistes, pour consentir à qualifier l’agression de brutale ? Merci,

  1. Lire à ce sujet Prévost-Paradol, la France nouvelle, p. 277-278 (Paris, Lévy, 1868) qui fait beaucoup penser.