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d’arriver en un mauvais moment. Car on peut bien dire que, pendant toute la durée du XIXe siècle, Florence a vraiment été, pour le monde entier, ce qu’elle avait été jadis pour le patriote Vasari : l’incarnation parfaite de tout art et de toute beauté. C’était assez qu’un Taddeo Gaddi, un Uccello, un Castagno, appartinssent à l’école florentine pour que l’on s’extasiât devant les plus médiocres morceaux de ces enlaidisseurs de la forme humaine : et les rêves les plus délicieux des vieux maîtres de Sienne, de Vérone, de Milan, étaient délibérément sacrifiés au profit du moindre vestige de fresques de Sainte-Marie-Nouvelle ou de la Trinité. Encore était-ce surtout, précisément, la « poésie » que l’on s’obstinait à vouloir goûter dans l’art de Florence : à tel point que le mot « florentin » était devenu synonyme du plus pur idéal de charme délicat et de grâce féminine. Parce que Florence avait été la patrie de Dante et de Pétrarque, parce qu’ensuite les Médicis en avaient fait comme un musée de l’art italien de la Renaissance, et parce qu’enfin d’illustres touristes anglais s’étaient plu à représenter Botticelli comme le type le plus achevé de la peinture « préraphaélite, » on s’était accoutumé à admettre, d’avance et sans discussion possible, que tout ce qu’avait produit cette ville bienheureuse devait être profondément imprégné de beauté poétique. Mais, depuis quelques années, l’opinion des critiques, et du public même, a manifestement commencé à se ressaisir. Des quatre coins de l’Europe, des protestations se sont élevées, non point contre la suprématie artistique de Florence, mais contre les motifs sur lesquels on l’établissait et contre le caractère qu’on lui attribuait. Et les yeux se sont rouverts. On s’est aperçu que, pour être un chef-d’œuvre d’ingéniosité scientifique, — et pour porter un nom ravissant, — la cathédrale de Florence n’en restait pas moins un édifice plus imposant qu’agréable ; que les palais florentins avaient plutôt la beauté de magnifiques prisons que de résidences princières ; et que, avec tout le génie des Donatello et des Masaccio, des Pollaiuoli et des Verrocchio, et de la plupart des grands maîtres florentins jusqu’au XVIe siècle, sans excepter même le troublant Botticelli, quelque chose manquait à leurs œuvres qui se trouvait dans l’œuvre, infiniment moins savante, d’un Simone Memmi ou d’un Stefane da Zevio, d’un Vital de Bologne ou d’un Borgognone. Oui, quelque chose manque à ces belles œuvres florentines pour être tout à fait belles : et l’on a de plus en plus nettement l’impression que ce qui leur manque est, tout au juste, cette « poésie » dont le P. della Valle, après Savonarole, a osé leur reprocher d’être dépourvues.