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prétendre que l’étude de la logique est une science « vide ; » que, au lieu de rechercher les règles qui découlent directement de la nature de la déduction ou de l’induction, il faut rechercher comment, en fait, les Fuégiens ou les Papous raisonnaient et raisonnent encore, comment les Egyptiens, les Babyloniens, les Grecs pratiquaient l’induction et la déduction ; comment les méthodes se sont peu à peu modifiées, non par l’effet des réflexions personnelles d’un Aristote ou d’un Archimède (comme tout le monde le croit), mais (comme le croit Marx) par les progrès de la « technique » sociale dans l’industrie, du « moulin à vent » et du « moulin à vapeur, » puis, plus tard, de la technique militaire, etc. On pourrait transporter la même méthode historique et sociologique à l’arpentage, au lieu de le considérer comme une application concrète des théories abstraites de la géométrie.

Pourtant les sociologues n’ont pas suivi cette voie. Ils sont bien obligés de reconnaître qu’il y a des notions géométriques et surtout des notions logiques qui sont communes à toutes les intelligences normales, quelles que soient les époques où on les considère, malgré les divergences de détail, malgré les erreurs nombreuses et les sophismes qui ont pu avoir cours. Les « dans » les plus barbares ont admis que quatre et un font cinq, du moins quand ils étaient capables de compter jusqu’à cinq, et que six et quatre font dix, quand ils étaient capables de compter leurs dix doigts et de compter sur leurs dix doigts. Les sociologues en conviendront aussi, les derniers des sauvages ont admis que tous les corps durs qui frappent la tête font mal et que, tel caillou lancé étant un corps dur, il serait absurde de conclure que ce caillou ne fera aucun mal. D’innombrables paralogismes remplissent sans doute la logique sauvage — cum hoc, ergo propter hoc, post hoc, ergo propter hoc, énumération incomplète, passage du sens divisé au sens composé, etc. ; — mais les lois logiques de l’induction ou de la déduction ne dépendent pas de la manière maladroite dont les hommes des bois ou des cavernes les appliquèrent. Les sociologues reconnaîtront même que, dans le fond, les sauvages bien dirigés et placés dans des circonstances favorables auraient raisonné, au moins pour l’essentiel, d’après les mêmes principes logiques que nos bacheliers. En tout cas, on ne fait pas dépendre aujourd’hui la science du raisonnement de la façon dont les Algonquins ont pu raisonner il y a dix