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n’est pas exclue de leur conception, elle demeure subordonnée à des considérations tout extérieures de « volume, » de « densité, » de complexité et de simplicité. Le progrès serait autrement assuré si l’on faisait appel à la conscience individuelle, non pas pour lui prêcher simplement le conformisme, mais pour provoquer son initiative, pour lui demander l’acceptation et, au besoin, la modification des mœurs, coutumes, lois, sanctions et actions collectives de toutes sortes.

Avec une admirable sincérité, M. Lévy-Bruhl finit par se dire : « Il y a pourtant des questions de conscience : au nom de ‘quel principe les résoudre[1] ? » Et il répond : « Notre embarras est souvent la conséquence inévitable de l’évolution relativement rapide de notre société et du développement de l’esprit scientifique et critique. » — Sans doute ; mais encore, demanderons-nous à notre tour, que faut-il faire ? — « Se contenter de solutions approximatives et provisoires, à défaut d’autres[2]. » — Mais quand je suis placé entre la mort et ce qu’on est convenu d’appeler un devoir, il ne s’agit plus d’une solution « approximative. » Je ne puis vivre approximativement et si je meurs, ce n’est pas provisoirement. Si donc je ne conçois, dans mes rapports avec autrui, rien qui me paraisse d’une valeur autre que provisoire et approximative, la vraie pratique positive sera de dire : — Provisoirement, je choisis de vivre ; tant pis pour ceux qui seront victimes de mon choix ; provisoirement, je choisis mon plaisir et mon intérêt, seuls certains et positifs ; se sacrifier serait la plus hasardeuse des spéculations, un beau risque, sans doute, mais le plus fou des risques.

Descartes, lui, ne prétendait pas se contenter d’une « morale de provision ; » l’humanité ne s’en contentera jamais. Non pas que l’homme exige une certitude sur les résultats de ses vouloirs, mais il demande au moins que son idéal humain offre à son intelligence et à son cœur d’homme une valeur certaine, reposant elle-même sur une supériorité des qualités humaines par rapport à la nature purement matérielle ou purement animale.

  1. Lévy-Bruhl, p. 251 et ss.
  2. Ibid.