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III

Quelle forme ces sentimens nouveaux ont-ils revêtue dans l’art ?

On est frappé d’abord, quand on passe en revue ce qui nous reste du XIVe, du XVe et du XVIe siècle, de la quantité prodigieuse d’œuvres d’art consacrées à la Passion. Les vitraux et les retables sont encore si nombreux qu’on ne peut essayer de les énumérer. Les pertes ont été pourtant incalculables.

Ces innombrables images ne suffisaient pas à rassasier la piété. On voulait avoir la Passion à son chevet. De là ces diptyques ou triptyques d’ivoire qui abondent dans toutes les collections. Ce sont de véritables retables domestiques. Des générations ont espéré et souffert devant ces fragiles bas-reliefs qui amusent aujourd’hui les curieux.

On sent partout le désir ardent de s’associer à la Passion. Dans les retables, on voit souvent des donateurs agenouillés qui semblent vouloir partager les souffrances de Jésus-Christ. On en voit dans les vitraux, on en voit dans les tableaux. Toujours ils semblent pénétrés de reconnaissance et d’amour. Leurs regards, leurs mains jointes disent clairement : « C’est pour moi qu’il a souffert, c’est pour moi qu’il est mort. » Il en est qui n’y peuvent tenir, qui se lèvent et qui vont aider Jésus à porter sa croix. D’autres fois, comme dans la fresque de Chauvigny, en Poitou, c’est l’Église entière qui vient au secours de Jésus : papes, cardinaux, prêtres, laïques, tous s’empressent, tous veulent mettre la main à la lourde croix. L’art se rencontre ici avec les mystiques, et particulièrement avec l’auteur de l’Imitation.

Étudions de plus près quelques-unes des scènes de la Passion, et voyons jusqu’à quel point elles expriment tout ce monde de sentimens nouveaux.

Et d’abord, la figure du Christ en croix va nous révéler quelques-unes de ces nuances nouvelles de la sensibilité chrétienne. Dès les premières années du XVe siècle, rien n’est plus émouvant que la silhouette du Crucifié. Les bras ne sont plus largement ouverts comme autrefois, et presque horizontaux, ils s’élèvent au contraire au-dessus de la tête et tendent à la verticale. La tête, qui était auparavant placée sur la traverse de la