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turistes qui, les premiers, probablement, en arrêtèrent les grandes lignes.

Ces lignes n’ont guère varié. La Vierge, perdue dans un grand manteau sombre, est assise au pied de la croix. Le cadavre est posé sur ses genoux. Les jambes sont rigides, le bras droit pend inerte et vient effleurer la terre. La Vierge, d’une main, soutient la tête de son fils, et de l’autre, le serre contre sa poitrine.

Au XVe siècle, les sculpteurs n’eurent qu’à copier ce modèle désormais consacré. Il est difficile de dire à quelle époque les ateliers commencèrent à sculpter le groupe de la Vierge portant son fils. Les Pitiés du XVe siècle sont très nombreuses, mais je n’en connais qu’une seule qui soit datée, c’est celle de Moissac, qui est de 1476. C’est peut-être une des plus anciennes. Toutes celles que j’ai vues portent la marque de l’art du temps de Louis XII. C’est donc à la fin du XVe et au commencement du XVIe siècle, que les ateliers de sculpture ont produit les innombrables Pitiés qui subsistent encore aujourd’hui en France.

Que de fois ne rencontre-t-on pas, dans le demi-jour d’une église de village, ce groupe, dont la désolation est inexprimable. L’œuvre est parfois admirable, plus souvent gauche et rude ; elle n’est jamais indifférente. Pareilles en apparence, elles nous révèlent, si nous les observons avec attention, plusieurs nuances très délicates de la tendresse et de la douleur. Le lecteur familier avec les mystiques du moyen âge y retrouve toutes leurs façons de sentir.

En voici un exemple. Certains manuscrits nous montrent la Vierge portant le corps de son fils sur ses genoux ; mais, par une singularité qui paraît d’abord inexplicable, ce corps est à peine plus grand que celui d’un enfant : il tient tout entier dans le giron maternel. Est-ce maladresse ? En aucune façon ; car, un peu plus loin, l’artiste rend au cadavre de Jésus ses proportions véritables. — Qu’a-t-il donc voulu dire ? Il a voulu exprimer à sa façon une pensée familière aux mystiques, c’est que la Vierge, portant son fils sur ses genoux, dut s’imaginer qu’il était redevenu enfant. « Elle croit, dit saint Bernardin de Sienne, que les jours de Bethléem sont revenus ; elle se figure qu’il est endormi, elle le berce sur sa poitrine, et le suaire où elle l’enveloppe, elle s’imagine que ce sont ses langes. »

Parfois (surtout dans les Pitiés sculptées), la Vierge, la tête penchée sur le visage de son fils, le contemple avec une avidité