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de les grouper et peut-être de reconnaître leur origine. Il y a, par exemple, une catégorie de Pitiés que l’on pourrait presque qualifier de champenoises. Ce sont celles où la Vierge met la main gauche sur son cœur (comme pour indiquer l’endroit où elle souffre), tandis que de la main droite elle soutient le corps de son fils. Je ne sais si ce thème est d’origine champenoise, en tout cas, il a fait fortune en Champagne, car ce ne sont pas seulement les sculpteurs, ce sont les maîtres-verriers qui représentent sous cet aspect la Vierge de Pitié.

Quelque formule d’ailleurs qu’aient adoptée tes artistes, leurs œuvres se ressemblent par un caractère commun. L’expression de la douleur y est tout intime. Jamais un geste théâtral ; rien qui fasse penser à l’artiste et à son talent. Ces vieux maîtres donnent, eux aussi, en ce grand sujet, un bel exemple d’oubli de soi-même. Aucune de ces œuvres qui ne semble née d’un mouvement désintéressé du cœur. De là leur puissance sur l’âme. Pour en sentir la vraie beauté, il faut les comparer à telle Pitié académique du XVIIe ou du XVIIIe siècle, à celle de Luc Breton, par exemple, à Saint-Pierre, de Besançon. Voilà certes un morceau qui fait honneur à l’artiste et qui dut satisfaire les connaisseurs. L’anatomie du Christ est irréprochable, et la Vierge lève les bras au ciel conformément aux meilleures traditions italiennes ; mais on est trop occupé à admirer tant d’habileté pour avoir le loisir d’être ému.

L’art a sans doute, au fond, les mêmes lois que la morale, et l’on n’arrive à la perfection qu’à la condition de s’oublier soi-même. Rien, dans nos vieilles Pitiés, ne vient nous distraire de la pensée de la douleur. Celles-là ont pu consoler. Quand on songe à toutes les tristesses qui sont venues, à travers les siècles, leur demander une leçon d’abnégation, il semble qu’elles aient, comme dit le poète, « une auréole d’âmes. »

La Vierge de Pitié est presque toujours représentée seule avec son fils. Il arrive cependant que deux personnages l’accompagnent, ceux qui, après Marie, aimèrent le plus tendrement le maître, saint Jean et Marie Madeleine. Dans ce cas, saint Jean est toujours près de la tête du Sauveur et Madeleine près de ses pieds.

Enfin, il est des cas où l’artiste a représenté tous les personnages du drame. Derrière la Vierge portant son fils sur ses genoux, on voit Nicodème, Joseph d’Arimathie, saint Jean, la