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Diverses considérations devaient déterminer l’Allemagne à conclure, après avoir tiré de nous tout ce qu’elle pouvait en tirer. On a dit que M. Witte, qui vient de passer quelques jours en France et en Allemagne, qui a vu M. Rouvier et M. de Bülow, M. Loubet et l’empereur Guillaume, avait parlé utilement dans le sens de la conciliation. Cela est possible et même probable. M. Witte, qui est un homme de beaucoup d’esprit et de jugement, ne saurait se méprendre sur les inconvéniens qu’aurait pour son propre pays une tension prolongée dans les rapports de la France et de l’Allemagne. La Russie a besoin d’argent : elle doit donc désirer que ceux qui peuvent lui en prêter n’aient pas la préoccupation de savoir s’ils ne feraient pas mieux de le garder pour eux à tout événement. Nous sommes convaincu que M. Witte a tenu partout un excellent langage, — excepté peut-être, quelquefois, dans ses confidences à des journalistes, — mais ce n’est pas à son influence seule qu’il faut attribuer la détente heureuse qui s’est produite entre Paris et Berlin. Le gouvernement allemand n’a jamais voulu pousser les choses aux dernières extrémités entre lui et nous : s’il l’avait voulu, il aurait eu tout intérêt à le faire plus vite. Au surplus, personne n’a le droit de lui attribuer d’aussi noirs desseins. Si l’entente finale s’est faite, c’est parce que l’état antérieur avait assez duré. Il n’aurait pu que s’aggraver s’il avait duré davantage, et encore bien plus s’il avait abouti à une impossibilité de se mettre d’accord. On l’était le 8 juillet : que serait-il arrivé si on avait cessé de l’être à la fin de septembre et si tant de bonne volonté, dépensée de part et d’autre, l’avait été en pure perte ? La conférence, à supposer qu’elle se fût réunie quand même, se serait ouverte sous de fâcheux auspices, et chacun y serait venu avec des préoccupations. Nous avons pleine confiance dans la conférence, et nous sommes tout disposés à remettre notre cause entre ses mains ; mais, si les dissentimens qui se sont produits avant qu’elle s’ouvrît s’étaient produits au cours des séances, ou si de nouveaux conflits qu’on n’aurait pas prévus venaient à s’y produire encore, il pourrait y avoir des surprises pénibles. Le caractère diplomatique de la conférence donne, au surplus, à tous ceux qui y prendront part la garantie que leurs intérêts n’y seront pas lésés, puisque toutes les décisions doivent être prises à l’unanimité et que l’opposition d’une seule puissance peut tout mettre en suspens, ou même en échec. Mais un avortement serait peut-être encore plus grave à la suite de la conférence qu’il ne l’aurait été avant et on a eu raison de faire tout ce qui était possible pour y échapper. L’Europe a besoin aujourd’hui, non seulement de paix matérielle,