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« Vous faites parfaitement bien, monsieur l’abbé, lui écrivait Joseph de Maistre[1], de ne pas quitter votre place ; elle est trop importante pour qu’il vous soit permis de renâcler. Genève seule occuperait un homme d’État. » C’était la vérité même. Pour assurer à la petite Eglise genevoise la sécurité et la vie même du lendemain, il fallait une activité toujours en éveil, une résolution, une patience, une habileté et une fécondité d’expédiens peu communes, bref, les qualités qui font par excellence l’homme d’action et le diplomate. Il fallait tout conquérir et ne rien céder. Il fallait, jour par jour et heure par heure, lutter contre les préjugés, l’ignorance, le mauvais vouloir d’un parti organisé, nombreux et puissant, peu disposé d’ailleurs à capituler devant l’ennemi traditionnel. Ce qui rend les divergences confessionnelles souvent irréductibles, c’est qu’elles reposent au fond sur des divergences de mentalité. Les oppositions dogmatiques, aggravées par l’histoire, par le jeu plusieurs fois séculaire des intérêts et des passions, transmises et comme totalisées par l’hérédité, finissent par aboutir à de véritables oppositions d’âmes. M. Vuarin l’éprouva au cours de sa longue carrière. Pour obtenir non pas certes des privilèges, mais un peu du droit commun, et le minimum de libertés nécessaires à l’existence de son Eglise, il eut à surmonter des obstacles qui auraient promptement usé une volonté moins énergique, une foi moins robuste, et une moins riche variété d’aptitudes. Que si, parfois, dans ses justes revendications, il a mis plus d’âpreté et de violence verbale que n’en eût sans doute comporté la charité évangélique, il faut, pour en bien juger, tenir compte des mille nécessités d’une lutte de tous les instans, et qui, de part et d’autre, fut extraordinairement ardente. « Celui-là a bien servi son maître, » disaient de lui à ses funérailles des protestans eux-mêmes. C’est là un témoignage qui se passe de commentaire.

Tant que dura la domination française, les difficultés furent grandes assurément ; elles ne furent pourtant pas insurmontables. A force d’obstination et de savoir-faire, de démarches tentées en tous sens, de refus patiemment essuyés, M. Vuarin obtint successivement l’agrandissement du cimetière catholique,

  1. La Correspondance de Joseph de Maistre avec M. Vuarin a été en partie publiée dans les Lettres et Opuscules inédits, puis dans les Œuvres complètes (édition de Lyon) du grand écrivain. M. Rouziès a publié dans la Revue de Fribourg de novembre 1904 des Lettres inédites de Bonald au curé de Genève.