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mes meubles[1]. M. de Senfft m’a reçu chez lui. Je cherche un logement pour l’hiver ; car j’ai pris le parti de rester ici, où il me semble que je puis avoir des devoirs à remplir. C’est aussi l’avis des personnes que j’ai dû consulter ici. Les choses dorment en ce moment ; on est dans l’attente de l’avenir. Les partis rassemblent leurs forces en silence pour la lutte qui s’établira à la prochaine session. Le Roi veut le bien comme son prédécesseur, comme tous les Bourbons ; mais pourra-t-il le faire ? c’est la grande question. Les ministres n’ont point abandonné leur système, et ce système qui a porté la corruption à un point que vous-même ne pourrez pas vous représenter, déplaît à beaucoup de gens ; ajoutez à cela le désir du changement, les intérêts lésés, l’ambition excitée au-delà de toute mesure : on croit difficile qu’il n’arrive pas une révolution ministérielle. On ne saurait se dissimuler que le mécontentement est extrême, ainsi que le mépris du gouvernement. Une seule chose console un peu, c’est l’affection personnelle que les libéraux comme les royalistes témoignent pour le Roi. Tout le monde en est frappé, et vous jugez combien cela tranquillise. On n’a pas été moins unanime à rendre justice à Louis XVIII, si calomnié pendant sa vie. Quant à la création d’un ministère des affaires ecclésiastiques, et l’introduction de quelques évêques vraiment français dans le Conseil d’État, j’y vois, comme beaucoup d’autres, le moyen de faciliter et de régulariser certaines opérations qui pourraient devenir nécessaires. Il y a ici une personne qui n’est pas du pays, et qui se réjouit beaucoup de cela. J’en ai causé avec elle assez franchement. Cette même personne compte extrêmement sur des projets de loi qu’on assure devoir être présentés à la prochaine session. Elle fonde sur ces lois de grandes espérances, et ne doute presque point des excellentes dispositions de ceux qui doivent les proposer. Il y a bien quelques nuages sur ce bel horizon, mais qu’y a-t-il de parfait en ce monde ? Quelques-uns, qui se flattent moins et qui croient connaître assez exactement ce qu’on prépare, ne sont pas sans inquiétude sur les faveurs promises. Au reste,

  1. Le prince de Croy, archevêque de Rouen et Grand-Aumônier, avait pris l’abbé Jean de Lamennais comme vicaire général. Les deux frères avaient un appartement à l’hôtel de la Grande-Aumônerie, 2, rue de Bourbon. L’abbé Jean ayant combattu en 1824 le candidat ministériel à Saint-Brieuc, dut se démettre de ses fonctions de vicaire général, et il fut invité, ainsi que « Féli, » à ne plus jamais remettre les pieds chez Mgr de Croy. Voyez, à ce sujet, Blaize, t. II, p. 33 et 24. Né en 1773, le cardinal de Croy mourut en 1844.