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croît tous les jours, et se propage dans les départemens. Cela ne l’empêchera pas de tenir bon jusqu’à la veille de la crise qui nous menace, et à laquelle il est humainement impossible que nous échappions. L’audace des révolutionnaires va croissant : la jeunesse est effroyable. J’ai appris sur nos écoles de nouveaux détails qui font dresser les cheveux sur la tête. L’impiété et l’hypocrisie y sont au comble, et le sacrilège y est devenu aussi général qu’habituel. Fr[ayssinous] sait tout cela, mais il dit qu’il n’y a pas moyen d’y remédier. Les affaires ecclésiastiques ne vont pas mieux ; les bureaux sont le foyer d’une conspiration anti-catholique et anti-monarchique dont l’abbé de la Chap… est un des principaux agens. On s’y occupe, avec un zèle extrêmement actif, d’envoyer à Lyon Feutrier. Celui-ci se croit sûr de la réussite, et il ne le cache pas. L’homme de la rue du Regard, circonvenu par mille moyens détournés, n’est guère qu’un instrument aveugle entre les mains de la coterie. Je sais par Eugène[1] qu’il est tout à fait, et peut-être sans le savoir, sous l’influence de Semonville[2] qui dispose à son gré d’une madame de Fronde-ville que l’autre voit tous les soirs à onze heures et demie. On croit que Villèle a agi pour garder à Paris le plus longtemps possible un envoyé qui lui est si précieux. Ce pauvre homme ne voit que lui, et il est enivré des caresses qu’on lui fait à la Cour. Il faut qu’on ait là-bas un triple bandeau sur les yeux. Les événemens qui se préparent les éclaireront : plaise à Dieu que ce ne soit pas trop tard !

Le Courrier s’est plaint très amèrement qu’on n’ait pas donné le cordon bleu à l’archevêque de Paris[3], dont il fait un magnifique éloge. Vous savez que le Courrier est le journal des doctrinaires, auxquels Chateaubriand et les Débats se sont réunis. Ce parti a pour chefs Royer-Collard, Pasquier, Molé, Barante, Guizot[4]. Ces gens-là reviendront au pouvoir, et ce sera le signal de la Révolution qui s’apprête.

  1. Eugène Boré, disciple de Lamennais (1809-1870). Il fonda des écoles en Orient, et mourut supérieur général des Lazaristes.
  2. Grand référendaire de la Chambre des pairs, le marquis de Semonville (1759-1839) fut remplacé en 1834 par le duc Decazes.
  3. Mgr de Quélen (1778-1839), qui joua un certain rôle dans la condamnation des doctrines menaisiennes.
  4. Tous ces hommes politiques, et Guizot surtout, figureront plus tard dans la virulente satire que Lamennais, en 1843, publiera sous le titre d’Amschaspands et Darvands. Déjà, à cette époque, il les considérait comme autant de Darvands, ou génies malfaisans.