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de son grand-père, et qui mourut à quelques mois de là, victime, dit-on, du climat londonien. Fut-ce à cause de ce deuil, ou par suite du peu de faveur dont il jouissait auprès du gouvernement britannique, que le comte de Fuentès demanda son rappel ? Toujours est-il qu’en janvier 1762, nous le retrouvons à Madrid avec toute sa famille. Ce fut au cours de ce séjour que, pour la première fois, s’éveilla le cœur de Mora. L’honneur en fut à une célèbre comédienne, Mariquita Ladvenant, qui défrayait alors les curiosités du public castillan par son talent, par sa beauté et par ses aventures, en attendant qu’elle l’édifiât par sa fin pieuse et repentante[1]. Mora conçut pour elle une passion violente, qu’il ne chercha guère à cacher. Le protecteur attitré de la dame, le duc de Villa-Hermosa, en fut outré de jalousie ; une querelle s’ensuivit, dont le retentissement fut tel, que les familles de Fuentès et d’Aranda se virent forcées d’intervenir pour mettre un terme à ce scandale. On résolut d’éloigner l’amoureux ; on obtint pour lui la faveur du grade de colonel et le commandement effectif du régiment de Galicie ; et il fut expédié sur l’heure à Saragosse, tandis que le comte de Fuentès s’acheminait vers Paris, où il allait tenir l’emploi d’ambassadeur.

Deux ans plus tard, le 25 août 1764, la marquise de Mora, accouchant pour la seconde fois, donnait à son époux un fils, qui reçut le baptême dans l’église de San Gil, sous le nom de Luis Gonzaga. Les cloches tintaient encore pour la joyeuse cérémonie, quand, épuisée par l’effort de ses couches, la mère succomba subitement et sans maladie apparente, sans faire plus de bruit dans la mort qu’elle n’en avait fait dans la vie. Elle fut peu regrettée ; l’oubli se fit vite sur son nom. L’enfant fut recueilli par son aïeule, la comtesse d’Aranda, qui se chargea des soins du premier âge ; et le marquis de Mora, muni d’un congé régulier, partit aussitôt pour Paris rejoindre sa famille. Veuf et père à vingt ans, il semblait que ces événemens eussent glissé sur son âme sans l’émouvoir par une forte secousse ; et les

  1. Mariquita Ladvenant mourut à Madrid le 1er avril 1767, dans tout l’éclat de son talent et de sa beauté. On publia de longs détails sur sa conversion et sur la fermeté de ses derniers instans, « où elle donna, écrit son confesseur, des signes évidens de prédestination. » Elle laissa quatre enfans ; chacun d’eux fut recueilli par la famille qui croyait avoir des raisons de s’y intéresser : les duchesses de Huescar et de Benavente, le duc de Arcos, et le comte de Miranda.