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avouer que la chute est profonde. Ce n’est pas seulement l’évolution d’un idéal qu’un pareil axiome trahit : c’en est la dégradation et la mort.

Richard Wagner à Bayreuth, d’une part ; de l’autre, le Cas Wagner et les divers fragmens qui s’y rapportent, ces deux versans de la pensée de Nietzsche ne diffèrent pas moins par la forme que par le fond. Le style, avec l’homme, a changé. Tandis que l’apologie se déployait dans un ordre concerté d’avance et grandiose, l’anathème s’emporte et se précipite, au hasard d’une improvisation irritée, sans méthode comme souvent sans mesure. Enfin et surtout, lyriques l’un et l’autre, si le dithyrambe l’était avec sympathie, avec amour, le lyrisme de la satire ou du pamphlet n’est fait que d’ironie et de haine. Avec une verve, une âpreté que l’Allemagne ne connaissait plus depuis Henri Heine, tout de Wagner, ses œuvres, ses héros, son idéal, est ici parodié, tourné en dérision et en caricature. « Qui donc nous apprendrait, si ce n’est Wagner, que l’innocence sauve avec prédilection des pécheurs intéressans ? (c’est le cas de Tannhäuser). Ou bien que le Juif Errant lui-même trouve son salut, devient casanier lorsqu’il se marie ? (c’est le cas du Vaisseau Fantôme), ou bien qu’une vieille femme corrompue préfère être sauvée par de chastes jeunes gens ? (c’est le cas de Kundry dans Parsifal), ou bien encore que de jeunes hystériques aiment à être sauvées par leur médecin ? (c’est le cas de Lohengrin). »

Une grande partie de l’ouvrage est écrite sur ce ton, qui de la raillerie s’élève quelquefois, — ou s’abaisse, — jusqu’à l’invective. Enfin, pour définir en son essencs et par une formule générale le génie même de Wagner, Nietzsche a trouvé ce peu de mots, qui ne s’oublieront pas : « Wagner est une maladie. » Le Cas Wagner n’est qu’un traité de cette maladie, racontée par celui qui plus que personne en fut malade, et qui s’en est guéri.

L’évolution musicale de Nietzsche est maintenant achevée. Il reste encore à la comprendre, à s’expliquer pourquoi, du bandeau royal dont il avait couronné Wagner, Nietzsche a voulu faire un lacet, pour l’en étrangler.

III


Parmi les causes diverses de ce revirement fameux, les unes sont de l’ordre esthétique; il se mêle aux autres un élément per-