plus précieux ; et j’ajoute que c’est bien un Guide tel que nous les aimerions aujourd’hui, c’est-à-dire écrit par un voyageur qui, curieux de toutes choses, ne cherche pourtant en elles que son propre plaisir, et toujours les décrit surtout au point de vue de la part de beauté qu’il découvre en elles. Ce qui le touche le plus, à tous les coins de l’Europe, c’est une belle église ou un beau tableau, un jardin peuplé d’élégantes fontaines, un savant concert d’instrumens et de voix, l’ombre d’un grand poète hantant les lieux où il a vécu, ou bien encore un joli visage de femme, que ce soit, à Amiens, sous la coiffe d’une nonne, ou, à Bâle, sous le chapeau pointu d’une riche bourgeoise. Le tour d’Europe d’un poète, doublé à la fois d’un érudit et d’un chercheur d’aventures, voilà ce qu’est vraiment le récit de Coryat.
Il est écrit d’un style le plus savoureux du monde, profondément anglais quant à la structure des phrases et à l’emploi des termes, mais avec cela si imprégné d’ « humanisme » que tous les mots y ressortent en un relief vivant, comme ils font pour nous dans un texte latin. Non pas que Coryat ait été en aucune façon un écrivain de génie, car on sait que le moindre des lettrés anglais, au temps de Shakspeare, maniait sa langue avec une adresse et une aisance admirables ; mais c’était, à coup sûr, un « voyageur » de génie, et il ne lui en a point fallu davantage pour approprier son style au genre nouveau qu’il traitait, pour le varier de proche en proche suivant la nature des sujets, pour y mêler constamment l’émotion et la drôlerie, la gravité classique et la conversation familière. Malheureusement, la qualité d’un style, dans une langue étrangère, est toujours chose indéfinissable ; et je ne puis guère songer, non plus, à résumer ici ce qu’il y a dans les observations de Coryat qui leur mériterait, à mon sens, d’être lues et méditées par les historiens de tous les pays. Mais plus encore que l’agrément de son style, et que l’importance historique de son témoignage, c’est la figure même de Coryat qui m’a diverti et touché, telle que je l’ai vue se dessiner à toutes les pages de son livre ; et c’est elle seulement que je vais essayer de décrire en un rapide croquis, faute de pouvoir mieux m’acquitter envers le « pédestrissime Odcombien » du plaisir inattendu que m’ont procuré les heures que je viens de passer en sa compagnie.
Mais, au reste, le portrait de Coryat nous est peint déjà par l’un de ses panégyristes, le poète parisien Jean Loiseau, dans les vers que j’ai cités :
- Vray bon homme, si doux et si plein d’innocence
- Que son plus haut savoir luy est comme ignorance.