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atelier à l’autre. C’est ce qui fait qu’à toutes les grèves, les ouvriers réclament un tarif commun, sans réfléchir que ce tarif n’est pas possible, tout, dans le tissage de la soie, étant subordonné à la nature ou à la qualité des titres des matières employées, et qu’il leur serait en fin de compte nuisible, comme l’a malheureusement prouvé l’expérience de 1869, où, les prix étant calculés sur le nombre de portées (80 fils), il en résulta, dans la contexture des tissus, une grande gêne qui fit passer une partie de la fabrication en Suisse.

Pour le travail aux pièces, la paie, à l’usine D…, est quotidienne : toute pièce finie avant onze heures est comptée et payée le soir même. On a adopté ce mode de paiement pour plusieurs motifs, d’ordre même moral : comme la paie du mari est hebdomadaire, si celle de la femme l’était aussi, dans bien des ménages, on ferait le samedi une fête qui ne finirait que le lundi, et où tout passerait, gain de l’homme et gain de la femme, laissant le couple sans argent et peut-être les enfans sans pain. Motifs d’ordre industriel ou économique aussi : quand on faisait la paie le samedi, le travail de l’usine était à demi suspendu dès le vendredi après-midi. C’était pour la production, pour le patron, un préjudice net. Celui que causait, au travail, à l’ouvrier, le « remontage du métier, une fois la pièce tissée, et qui, dans les petits ateliers, était très important, a été réduit, dans l’usine, à n’être pour ainsi dire plus sensible ; amélioration encore qu’il ne conviendrait pas de dédaigner[1]. À l’usine D…, il n’y a pas de contrat de travail, pas de règlement d’atelier. Lorsque le patron veut renvoyer un ouvrier, ou lorsqu’un ouvrier veut quitter le patron, ils ne sont obligés à rien l’un envers l’autre, mais il est d’usage qu’ils se préviennent réciproquement trois jours à l’avance.


La teinture n’est pas la servante, elle est plus que l’auxiliaire,

  1. Dans la fabrique lyonnaise classique, il y avait, dans cet arrêt forcé des métiers, un vice énorme, auquel on remédiait ou qu’on palliait comme on pouvait : « Pour les schalls d’une grande beauté et d’une grande variété de dessins, les frais de montage s’élèvent quelquefois jusqu’à 1 000 francs. Mais alors ils sont remboursés par le manufacturier. Lorsque ces frais dépassent 100 francs, un arrangement a lieu ordinairement entre le maître et le tisserand relativement à la manière dont ils doivent être payés. » Ure, Philosophie des manufactures, I, 399. — Suivant la grosseur de la trame, le métier « finit » plus ou moins souvent, d’où un avantage pour les trames fines. Dans l’usine moderne, les ouvriers mènent, en quantité à peu près égale, un ou deux métiers selon les articles.