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air hautain il se promène à travers la pièce. Lui faire accepter de l’argent d’une femme, il n’y faut pas même songer, et tandis que l’infortunée Hélène s’ingénie à lui trouver la somme dont il a un si pressant besoin, sa crainte constante est que le chevaleresque Roger puisse soupçonner son intervention dans l’affaire. Qu’on slavise, en lui payant ses dettes, de lui imposer des conditions, pour qui le prend-on ? Il toise sévèrement M. Lebourg qui a eu cette inconvenance, et si bien prouvé par là qu’il n’est qu’un croquant. Pourtant ce gentleman, à l’honneur si chatouilleux, nous savons que depuis longtemps il n’a d’autres ressources d’existence que le jeu. L’abus de confiance qualifié qui va faire de lui un client de la correctionnelle, n’est que le dernier épisode d’une vie d’expédiens. Comment une âme peut-elle être à la fois aussi gangrenée et aussi pure ? Et depuis quand le joueur qui vit de son jeu conserve-t-il cette blancheur de conscience qui fait songer à la blanche hermine ? Cela nous déconcerte. Nous avons de la peine à croire ce qu’on nous en dit, et nous voudrions en voir la fin. Quant à la psychologie d’Hélène, nous avouons qu’elle nous stupéfie. Qu’une femme qui, bien entendu, est une honnête femme, découvre que son amant est un voleur et qu’elle continue de l’aimer ; que pour se procurer la somme énorme dont cet escroc a besoin pour se refaire, elle ait le front de la demander à un homme qui l’a aimée et dont elle a repoussé la recherche, et qu’elle invective son père sous prétexte que ce père lui refuse l’argent dont elle veut faire un usage si particulier, cela nous paraît à peu près insensé. A quel délire est en proie cette forcenée ? Dans quel monde cela se passe-t-il ? . Et d’où vient qu’on puisse jeter si allègrement le défi à toute vérité humaine ?

Ce n’est pas nous qui imposons aux auteurs les sujets qu’ils traitent, mais, une fois qu’ils les ont choisis, ils se doivent à eux-mêmes et ils nous doivent de les traiter complètement. Les auteurs des pièces que nous étudions n’ont pas eu le courage de pousser jusqu’au bout des situations qu’ils ont eux-mêmes estimées trop pénibles. Car voici qu’une fois de plus le vent a tourné. Ces dernières années ont été marquées par un renouveau de sentimentalisme, et on nous a saturés de berquinades. Mais voici que nos écrivains de théâtre recommencent à broyer du noir. Toutes ces pièces ont un trait en commun, c’est l’amertume. Bertrade est une satire très vigoureuse et très âpre. La Rafale est le récit d’une aventure atroce. La Marche nuptiale est une sorte de dérision du rêve, des aspirations généreuses et tendres. À ces drames sombres eût convenu une conclusion assortie. En bonne logique le duc de Mauferrand eût épousé l’ancienne cocotte ;