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ardente, aussi criminelle, que peut la souhaiter notre goût moderne le plus raffiné.

Parmi les digressions introduites par Manzoni dans ses Fiancés, et conservées par lui jusque dans la version dernière de son œuvre, il y en avait une qui, au contraire des autres, avait activement contribué au succès du roman, et tout de suite en était devenue l’une des parties les plus fameuses. C’était l’histoire de la jeune abbesse de ce couvent de Monza où s’était réfugiée la fiancée de Renzo. Le rôle de l’abbesse, dans l’intrigue principale, se réduisait en somme à assez peu de chose : elle accueillait Lucie dans son couvent, et puis, un jour, elle la livrait par trahison au puissant séducteur que la pauvre fille avait voulu fuir. Mais la tragique figure de cette femme, telle qu’il l’avait vue esquissée dans des documens contemporains, avait si vivement frappé l’imagination du romancier qu’il n’avait pu s’empêcher, à son tour, d’essayer de la peindre, n’avait donc raconté très longuement, avec une vérité pittoresque et une pénétration admirables, les circonstances qui, en contraignant la jeune Gertrude à se faire religieuse contre son gré, l’avaient conduite peu à peu à l’oubli de ses devoirs, au point de la rendre capable de la trahison qu’elle allait commettre à l’égard de Lucie. Ce grand épisode des Fiancés se trouvait être, de cette façon, quelque chose comme un nouvelle Religieuse, écrite seulement dans un tout autre esprit que celle de Diderot, — et, du reste, avec un art d’exposition infiniment supérieur ; — et innombrables avaient été les comparaisons qu’on en avait faites avec le célèbre roman de l’écrivain français. Manzoni nous donnait même à entendre, dans les dernières pages de son épisode, que l’abbesse, au moment où Lucie était venue se mettre sous sa protection, entretenait des rapports coupables avec un jeune débauché de Monza : mais, parvenu à ce point de son récit, il s’arrêtait assez brusquement, pour reprendre la suite de l’histoire de la fiancée de Renzo.

Or le roman de l’abbesse de Monza, dans la version primitive des Fiancés, se prolongeait encore pendant plusieurs pages, que Manzoni a cru devoir couper sur les épreuves de son livre. Leur suppression lui a été conseillée, nous dit-on, par deux de ses amis : le Français Fauriel, qui craignait que l’épisode de l’abbesse, en se prolongeant trop, ne nuisît à l’unité littéraire du roman, et l’évêque de Pavie, Mgr Tosi, qui craignait que la peinture trop vive de l’inconduite d’une abbesse ne fit tort à la portée religieuse du reste du livre. Le romancier s’était donc résigné à retrancher, en fin de compte, toute la dernière partie de son récit, et c’est cette dernière partie qu’on vient