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À Venise, il voit un morceau de l’entablement du temple d’Antonin et de Faustine : « C’est autre chose, s’écrie-t-il, que nos saints grimaçans empilés par étages, sur de petites consoles, autre chose que nos enjolivemens gothiques, nos colonnes en tuyaux de pipe, nos tourelles pointues et nos saillies fleuronnées. Dieu merci ! Je suis pour jamais délivré de tout cela ! » Évidemment, il confond l’époque romaine avec la bonne époque. Qu’importe l’anachronisme, puisque à l’aide de ce faux jugement il se met dans l’état paisible que reflète Iphigénie et qui déconcerta les fanatiques de sa fougue antérieure.

Aussi bien, il ne s’agit pas pour Gœthe de découvrir et d’appliquer les règles de l’art antique. Ce qu’il cherche, en Italie, et ce qu’il obtient, fût-ce des œuvres pseudo-antiques, c’est un secours pour mettre dehors l’énergie intime que Mme de Stein et les leçons de la vie lui avaient communiquée.

Au cours de ce voyage, son but précis est de tenir son âme à la hauteur où il trouvera tout naturellement des expressions, une musique assez héroïque pour nous rendre saisissable, pour chanter la tragédie dont il porte avec lui le livret.

Le pédantisme et l’aplomb d’un Gœthe pourraient déconcerter. Gardons-nous de méconnaître sa magistrature. Il nous ouvre mieux qu’aucun maître la voie du grand art, en nous montrant que, pour produire une plus belle beauté, le secret, c’est de perfectionner notre âme. Gœthe travailla sans cesse à se développer en s’élevant. L’artiste est grand selon qu’il possède une imagination de héros. De là l’effort si raisonnable de Gœthe pour épurer, ennoblir continuellement sa sensibilité. Il nous est utile par l’exemple de sa vie, mieux encore que par son œuvre.

La société d’un Gœthe apprend à tirer parti sans vergogne des moindres élémens, à ne pas nous intimider, ni enfiévrer, ni désespérer. Ce grand homme est calmant. Ses points de vue ne sont ni rares, ni extraordinairement puissans (d’ailleurs l’extraordinaire a quelque chose de répugnant pour un naturaliste et les phénomènes sont des beautés de foire). Mais c’est un homme très solidement campé dans ses idées. Ce citoyen libre de Francfort, ce bourgeois haussé d’une classe, ce parfait produit d’une vigoureuse famille, bien adapté à la vie allemande, avec quelle heureuse audace il s’appuie sur ses erreurs ! Rien n’entrave le jeu de ses facultés artistiques et, comme c’est toujours