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un voyage à sparte.

poussières que ce vent furieux soulevait, là-bas, par-dessus les abîmes où gît la plaine de Sparte, nous découvrîmes des crêtes puissantes et nombreuses qui pointaient dans le ciel. Je n’eus pas à demander leur nom : le Taygète !

Sa chaîne se disposait avec ordre et puissance. Un nuage faisait marcher de grandes ombres sur les montagnes plus basses interposées entre nous et cette suite d’arêtes tragiques…

L’ouragan qui nous secouait sur ce plateau pelé s’harmonisait avec mon premier saisissement. Un tel grandiose, dont la musique de Beethoven m’a seule donné l’avant-goût, bouscula mon âme d’une si forte manière que je m’entendis m’écrier : « Hélène, je le jure, n’est pas une poupée ! En elle, la volupté triste se confond avec les fureurs qui affrontent la mort. L’homme veut tuer et se perpétuer, et les pics sévères que voici présidèrent aux efforts les plus réussis de ces deux sauvages instincts pour s’élever à l’héroïsme ! »

Mais déjà de nouveaux renflemens des sommets où nous courions me cachaient le Taygète.

Il avait suscité toutes mes forces intérieures. La morose cantilène de mon voiturier ne me semblait plus qu’un soupir de la ville des pachas et la basse mélancolie d’un esclave. Le génie de Lacédémone, dans un grand coup de vent, venait de m’assainir l’âme et de balayer ce chant de malaria.

Bientôt je vis sans obstacle le Taygète, de ses cimes jusqu’à sa base. Pour ajouter à mon plaisir par le contraste, en même temps que je reconnaissais le Taygète comme le héros du paysage, je promenais mes regards dans le ciel plein de nuages et de soleil et dans la riche vallée surabondante de verdures étalée immédiatement sous mes pieds. Je découvris l’Eurotas, dont les eaux brillaient ; les blanches maisons de la nouvelle Sparte éclataient dans les vergers de la plaine ; des villages aux toits rouges, pareils à des bosquets sacrés, s’abritaient sur les flancs généreux du Taygète. Et, perchée sur un monticule, tout au fond du décor, je finis par distinguer la noble ville de Mystra, que je cherchais expressément.

C’est une ivresse de mettre en place, sur des lieux qu’on aborde pour la première fois, des noms de poésie. Je me répète à l’infini ces syllabes : Mystra, Lacédémone, Eurotas, Taygète, tandis que d’interminables lacets nous conduisent au fond de la vallée, parmi des arbustes verts, le plus souvent des lauriers-