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mourir ! Est-ce que c’était possible ? Une flamme de honte brûla ses joues. Là-bas, les cendres des aïeux tressailliraient sous l’affront. Ils se lèveraient sous les vieux cromlechs pour lui jeter à la face leur opprobre… Tous, tous… Les guerriers morts sans un cri malgré les enfans et les femmes ; ceux qui avaient soutenu des combats impossibles ; ceux qui avaient répondu à l’appel des dieux ; et ce Gaulois, l’orgueil de leur race, allant, enchaîné pour les autres, orner le triomphe de César, et périr étranglé dans un cachot de Rome. Avait-il appelé sa femme, ce Vercingétorix au cœur si noble ? Que penserait-il de ce fils dégénéré ? Que diraient-ils, les autres, ses compagnons d’armes, lorsque Gradlon leur apprendrait qu’il avait fui, eux qui se provoquaient en des combats mortels, pour savoir seulement celui qui tomberait le mieux, celui qui expirerait sans qu’un muscle de son visage tressaillît ? Toutes les âmes celtes, ces âmes éprises d’honneur, dédaigneuses de la vie, ivres de folle bravoure, se levèrent en lui, en un appel suprême de la race.

Il fallait mourir ! Il ne saurait plus vivre avec la flétrissure d’avoir fui. Quand même personne ne saurait, quand même il serait seul à sentir la tache indélébile, plutôt en finir mille fois ! Mais même pour elle ! Oserait-il jamais faire allusion à son passé ? Oserait-il lui parler des siens ? Est-ce que le bonheur se fonde sur une âme déracinée ? Non ! non ! elle aussi comprendrait qu’il devait mourir… Sans raisons ? Qu’importe ! L’honneur ne demande pas de raisons ! Elle le sentait bien, elle qui souriait avec orgueil aux femmes de sa race mortes obscurément pour ne pas profaner leur tendresse ! Quand elle saurait avec quelle grandeur calme il était mort, elle ne regretterait pas, elle ne pourrait jamais regretter de lui avoir dit un jour : « Je viendrais ! »

Hélas ! le mot résonna encore à ses oreilles. Il entendit la belle voix grave. L’honneur, le courage, la foi, semblèrent crouler en lui dans le néant et dans la nuit. Il lui parut qu’il sacrifiait la réalité à une chimère ? Que lui importaient ces hommes et tous les hommes ? Que lui importaient les dieux inflexibles, qui le repoussaient de toute leur haine farouche ? Sauraient-ils seulement s’il mourait pour eux, s’il se sacrifiait pour elle ? Et elle, ne l’accuse-rait-elle pas d’avoir fait passer un fol orgueil avant sa tendresse ?

Il se sentit perdu, désemparé comme un naufragé, pris et repris par le flot d’une douleur trop forte. Qui appeler à son secours ? À qui tendre la main ? Seul ! en terre ennemie !