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desséchées tenaient encore toutes aux branches des chênes. Mais les mousses épaisses et les houx géans gardaient une perpétuelle verdure aux sous-bois. Des sources vives chantaient partout. Le druide s’arrêta longtemps, calmé par cette paix des choses. Il plongea ses mains et sa tête dans l’eau glacée ; il s’adossa à un vieux tronc, blanchi de moisissure, pour y passer la nuit à l’abri des allans et des venans… Cette nuit fut coupée de rêves cruels. Le drame de la veille y revivait avec une netteté extraordinaire ; drame étrange où les formes disparaissaient pour laisser se mouvoir seulement les âmes vivantes. L’âme de sa victime était navrée ; elle demandait grâce ; elle suppliait : « Pourquoi ?… Pourquoi ?… » Lui ne trouvait point de réponse. Là aussi l’œuvre de sang avait laissé sa trace : elle avait dissipé le songe fanatique. La loi posée par Dieu au commencement des jours : « Tu ne tueras point, » bouleversait la conscience du vieillard, couvrait son corps d’une sueur d’épouvante.

Au matin, il essaya en vain de se relever. Il retomba sans forces. Est-ce qu’il allait mourir ? Pourquoi pas ? Il ne comptait plus ses années ; et ainsi il échapperait à l’obsession qui le hantait depuis la veille. Seulement il aurait voulu finir dans ces retraites où personne ne le découvrirait jamais. D’un grand effort, il s’accrocha aux premières branches qu’il put atteindre, déchirant ses mains aux feuilles des houx. Il fit quelques pas ; mais il ne pouvait plus. Il retomba évanoui.

En traversant la forêt pour regagner son abbaye de Landévenec, Gwennolé trouva le vieillard sur sa route. Il le prit dans ses bras ; il l’amena dans la cabane qui lui servait de logement, à l’écart des autres. Ce fut là que le druide revint à lui, devant un feu de branches sèches. Mais défiant, il refusa de répondre aux questions du moine ; il ferma les yeux et retomba dans un demi-sommeil.

Bientôt les accens de sa langue bien-aimée, cette langue qu’il n’entendait plus, arrivèrent jusqu’à lui. A genoux, Gwennolé disait en cette langue des paroles d’amour à un être invisible ; il priait les bras étendus ; et les vieilles syllabes, les vieux mots berceurs apportèrent au druide l’émotion qu’il avait ressentie en la nuit des âmes, quand la barque passait dans les ténèbres emportant les accens des aïeux. La prière continuait ; le vieillard écoutait ; maintenant le saint implorait son Dieu pour cet hôte inconnu dont l’âme lui semblait plus scellée encore que les