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toute gracieuse et fière, l’énergique et séduisante figure de la Duchesse de Berry[1], durant les années que l’on pourrait définir les années heureuses et les années françaises, — celles qui précédèrent et suivirent le mariage, où le bonheur devait être de si brève durée, qui furent si vite assombries par la mort tragique de son mari et, dix ans plus tard, par la ruine de la monarchie légitime, et l’exil. L’historien arrête là son récit, à la veille des hauts faits de la campagne de Vendée, que tant de biographes ont racontée. Rien de plus attachant que le récit de sa jeunesse simple et retirée en Sicile, de son arrivée si fêtée en France ; de cette existence, tout d’abord si brillante à la cour de Louis XVIII, et qui va se compliquer des plus graves soucis ; où l’espérance apportée par la naissance du Duc de Bordeaux devait bientôt sombrer, et la réalité dépasser en infortune tout ce qu’on peut imaginer. Ce n’est pas dans son rôle d’héroïne que nous la verrons ; c’est dans la période qui va de son enfance, déjà troublée dès l’âge de huit ans, où la première révolution avait obligé les Bourbons d’Espagne à s’éloigner du royaume de Naples jusqu’à celle de 1830 qui chassa les Bourbons de France. Sous tous les aspects de sa vie d’enfant, de jeune fille et de femme, de sa vie intime et officielle, la voici tout d’abord dans le palais royal de Palerme auprès de son grand-père et de sa grand’mère ou encore à Monreale et à Bocca di Falco, résidences habituelles du prince héréditaire, dans cette île pittoresque et lointaine d’où étaient bannies les rigueurs de la Cour de Madrid et de Vienne, et où elle avait été élevée dans les traditions de liberté et d’indépendance dont jouissent rarement les princesses royales ; puis, en France, « reine des élégances » à l’Elysée, aux Tuileries, sur la plage de Dieppe comme sous les ombrages de Rosny, et telle qu’elle se montrait elle-même dans le Journal qui consignait, régulièrement, en quelques lignes, les événemens de chaque jour. Elle nous y apparaît dans tout le laisser aller de son naturel capricieux et instinctif, qu’une éducation très sommaire, comme celle que recevaient toutes les jeunes filles napolitaines, n’a pas modifié, avec ce cœur généreux qui se livre dans un abandon naïf aussitôt qu’on lui a inspiré quelque confiance, mais que la moindre contradiction exaspère ; cet esprit vif et pénétrant, cette volonté assez forte pour dominer les événemens et lui faire braver toutes les fatigues et tous les dangers avec autant de patience et d’intrépidité que de courage et de noblesse d’âme.

C’est dans le château même de Brunnsee, où la Duchesse de Berry a

  1. Manzi et Joyant.