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donnaient raison ; mais elle regardait à peu près comme crimes de lèse-majesté les critiques adressées aux navires sur lesquels tant d’officiers avaient loyalement gagné leurs grades ; et, pour préférer quatorze mille tonnes à douze, elle se plaçait à un point de vue purement esthétique. L’école contraire n’avait aucun programme ; elle était divisée ; son avant-garde aurait volontiers composé la flotte de torpilleurs de soixante à quatre-vingts tonnes, soutenus par des canonnières de quatre cents comme mastodontes ; elle n’était unie que pour condamner, comme inutilement colossal, tout ce qui approchait de douze mille tonnes. Le ministre, sans s’associer aux exagérations des sectaires, subissait quelque peu l’influence des partisans des petits navires, et se montrait mal disposé, au début, à dépasser douze mille tonnes. Il lui répugnait même d’accroître le déplacement de huit mille tonnes prévu par son prédécesseur pour l’unique cuirassé inscrit au budget. Les idées régnantes, au sujet de la puissance défensive, n’avaient encore été modifiées, en 1895, ni par les essais de modèle de 1890-91, ni par la catastrophe du Victoria, ni par l’exemple de l’Angleterre. Le cuirassé de huit mille tonnes prévu à cette date, qui aurait porté le nom du Henri IV, était un Tréhouart empiré, avec une hauteur de caisson blindé égale au huitième de celle exigée par sa largeur, et sans tranche cellulaire. Aux pians de ce navire étaient joints, encore inachevés au ministère, ceux d’une Jeanne d’Arc qui, abandonnant le modèle Dupuy de Lome, revenait au système de protection du Duperré et du Bayard. Les plans de ces singuliers navires ont été terminés, et conservés soigneusement à titre de curiosités historiques.

En présence de l’impossibilité d’aborder le déplacement de quatorze mille tonnes, le recours à la disposition générale des monitors restait ouvert, comme l’unique moyen d’obtenir un bâtiment exempt de vices rédhibitoires. Cette solution fut proposée et agréée en principe, au mois de février 1896, pour le Henri IV actuel, dont les plans furent commencés. L’opposition surgit aussitôt, plus universelle et plus violente que contre le cuirassé du modèle Patrie. En désespoir de cause, le ministre accepta, au mois d’avril, le déplacement de quatorze mille tonnes et mit à l’étude un cuirassé genre croiseur. Cette dénomination, après la mise en chantier de la Jeanne d’Arc, convenait très bien à définir le système défensif du nouveau cuirassé, comparativement