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d’une lutte entre des frères ennemis, très fantastique dans la rédaction arabe, mais dont une forme primitive plus simple existe chez les Berbères ; et le roman bien arabe d’Omar en-Noman, le morceau le plus étendu de tout le livre. Il faudrait étudier ces grands récits dans leur rapport avec une œuvre du même ordre qui n’est jamais entrée dans les Mille et une Nuits, le célèbre roman d’Antar.

En réunissant tous ces matériaux, on arrive, pour la composition de l’ensemble du recueil, à une date assez tardive. Des contes sont ajoutés jusqu’au XVIe siècle et même après. Les contes de Kamar ez-Zamàn avec la femme du joaillier, de Marouf et de Fâtimah, sont du XVIe siècle ; celui d’Abou Kîr le teinturier et d’Abou Sîr le barbier est d’une époque encore plus moderne. La langue du livre, qui offre certaines variétés dialectales, est toute proche de l’arabe vulgaire moderne ; le conte d’Aladin est en dialecte de Syrie.

Silvestre de Sacy avait autrefois tenté de fixer une limite inférieure de date à la composition du recueil, en remarquant qu’on n’y voit figurer ni le tabac, ni le café ; cette remarque nous reporterait au milieu du IXe siècle de l’hégire, XVe siècle de l’ère chrétienne. C’est cette limite que les textes sur lesquels le docteur Mardrus a fondé sa traduction paraissent avoir de beaucoup dépassée.


III

Quant au contenu même des récits dont nous venons d’indiquer les origines, il est inutile de l’analyser ici. Ces contes sont assez connus, et le charme en est facile à saisir. Mais il peut être instructif de faire porter notre analyse sur certains de leurs élémens constitutifs, le décor, le merveilleux, la morale et la psychologie des personnages qui y figurent, en rapportant ces différens élémens à ce qui leur est analogue dans l’histoire.

La richesse du décor dans les Mille et une Nuits est proverbiale ; elle semble tout d’abord ne relever que du rêve. On sait pourtant qu’il n’en est rien : ce décor tient d’assez près à la réalité, et ce serait pour un psychologue un exercice curieux que de montrer, à propos des Mille et une Nuits, combien l’imagination humaine est plus faible qu’on ne pense, et combien les chefs-d’œuvre de cette imagination dépendent encore étroitement