Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/164

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des données réelles. Lorsque Weil commença son édition des Nuits, il venait de visiter une exposition de dessins mauresques rapportés d’Espagne par le peintre Gayl ; il lui sembla voir se dégager de ces dessins la même impression que des descriptions des contes. Cependant, les Mille et une Nuits n’ont rien à voir avec l’Espagne ; mais les splendeurs de l’architecture des Maures avaient eu leurs antécédens en Orient, et de même que les architectes de l’Occident musulman avaient surenchéri sur la magnificence des palais des khalifes de l’Orient pour arriver à concevoir le plan de leurs constructions merveilleuses, de même les conteurs de Syrie ou d’Egypte s’étaient servis des merveilles réalisées sous leurs yeux pour parvenir à la conception d’un décor de féerie. Le luxe était déjà très grand dans la brillante période abbasside ; nous le savons par les historiens, dont nous pouvons tirer, entre autres, cet exemple[1]. Quand le khalife Mamoun épousa Bouran, fille du vizir Hasan ibn Sahl, le mariage fut célébré avec des fêtes et des réjouissances qui dépassaient tout ce qu’on avait vu auparavant. « Les dépenses furent faites par le vizir dont la libéralité alla si loin qu’il fit jeter des balles de musc sur les membres de la famille du khalife, les généraux, les secrétaires d’Etat et les personnes tenant un rang éminent à la Cour. Chaque balle contenait un papier sur lequel était un bon pour une ferme, une jeune esclave ou un attelage de chevaux. On répandit ensuite des monnaies d’or et d’argent, des balles de musc, des œufs d’ambre sur le reste des invités. La nuit où Mamoun s’approcha de Bouran, au moment où il prit place à son côté, un millier de perles furent versées sur eux, d’un plateau d’or, par la grand’mère de la mariée ; on alluma près d’eux une chandelle d’ambre gris du poids de 80 livres ; mais Mamoun blâma ce dernier luxe comme un excès de prodigalité. » De telles noces ne semblent pas médiocres, même à côté de celles d’Aladin.

Mais plus touchans sont d’autres récits de mariage où le sentiment et le pittoresque dépassent le luxe, et plus intense est leur saveur. La plupart de ces récits sont, au reste, à demi historiques. On se souvient peut-être de la jolie anecdote de la corbeille. Le musicien Ishak-el-Mausouli sortant un soir de chez le khalife, voit au coin d’un mur pendre une corbeille. L’ivresse

  1. D’après le bibliographe arabe Ibn Khallikan, édition et traduction de Slane, t. I, p. 268.