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Si cependant, au lieu de s’attacher aux circonstances en elles-mêmes, on n’en retenait que les effets, on trouvera naturel que le mariage, et un mariage aussi disproportionné que celui de Molière avec Armande Béjart, ait en plus d’un point modifié sa manière de voir et, par suite, sa manière de comprendre la vie et son art. Mais, en ce cas, c’est aussi d’une autre manière que la question se pose, et ce n’est plus en dehors, pour ainsi dire, de Don Juan, de Tartufe et du Misanthrope, dans la biographie de Molière, mais intérieurement, et dans la nature des œuvres elles-mêmes qu’il faut chercher la raison du caractère que nous leur attribuons. Nous estimons pour notre part que la vraie raison de ce qu’il y a d’obscur et d’incertain dans ces pièces, c’est tout simplement que Molière a essayé d’y « passer les bornes de son art, » ou, si l’on le veut, celles de son genre, et d’inaugurer une sorte de comédie qui fût aussi nouvelle par rapport à l’École des Femmes et aux Précieuses ridicules que celles-ci l’étaient elles-mêmes par rapport à Jodelet, Maître valet ou à Don Japhet d’Arménie. Et nous disons que, s’il n’y a réussi qu’à moitié, c’est sans doute que personne n’y eût pu complètement réussir ; et si personne ne l’eût pu, c’est peut-être, c’est même assurément que la tentative en était irréalisable ! Car, les genres littéraires ont leurs lois, qui ne sont point des « lois d’airain, » on ne saurait trop le redire, ni donc si rigides qu’on ne puisse échapper quelquefois à leur contrainte, mais qui sont cependant des lois ou, si l’on le veut, des conditions qui s’imposent, même à un Molière, et c’est ce qu’il est intéressant de voir dans un cas comme celui de Molière.

Si l’École des Femmes et l’École des Maris sont en effet des comédies parfaitement claires, comme Amphitryon et comme les Femmes savantes, c’est qu’elles sont des comédies... comiques, ou, si l’on préfère un autre mot, qui ne prête point à discussion, c’est qu’elles sont, dans l’inspiration générale comme dans la donnée du sujet, des comédies parfaitement « gaies. » Ai-je besoin de montrer combien en diffèrent à cet égard Don Juan, Tartufe ou le Misanthrope ? Le Misanthrope est une comédie triste, et Tartufe est une comédie sombre. Pourquoi cela ? Je crois qu’on peut le dire. Elles sont tristes ou sombres, parce que l’objet de l’action, l’amour malheureux d’Alceste pour Célimène, ou la spoliation de la famille d’Orgon par les manœuvres de Tartufe, y est pris au sérieux, et non plus du tout en riant : ridendo. Amphitryon n’est manifestement qu’une fable, et Monsieur de Pourceaugnac une farce. L’École des Femmes ou les Femmes savantes, — quelque place qu’y occupe « l’imitation de la nature, »