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double conseil qui nous convainc d’être le nom d’une belle mort ou de faire sonner la lyre.


XXI. — LES BURGS DORÉS


« Quelle partie de l’univers n’avons-nous pas successivement possédée et perdue, sans qu’il reste même dans notre mémoire le souvenir du nom des pays que nous avons régis, des hommes éminens qui nous les ont acquis et de ceux qui ont consacré leur talent à nous les conserver. »
Buchon.


Double plaisir, ce matin : je quitte le village banal de Mégalopolis et le malpropre logis qu’un indigène nous y prêta, et je vais, en trois petites heures, gagner Caritena, fameuse par un château féodal qui date de la IVe croisade.

Autour de Mégalopolis, le territoire dessine une vaste cuve bien cultivée. Nous y décrivons (dans une exécrable carriole) le plus large circuit, parmi des pierres, du soleil, des moutons, des chèvres et fort peu d’arbres, pour atteindre une seconde cuve pareille où se dresse, sur la paroi la plus lointaine, le rocher solitaire de Caritena.

Chez les Grecs modernes, tout est dépouillé d’une façon que je ne pourrais rendre sensible qu’en faisant ronger ce chapitre par leurs troupeaux de chèvres. Caritena, sèche sous le soleil, n’a pas, comme mes ruines alsaciennes, un bel ombrage où s’asseoir. Chez nous, après la montée, il y a tout de suite la fraîcheur, l’appétit largement ouvert pour les truites et le vin blanc. Mais ici les maisons d’un étage, en pierre grossière, avec un balcon de planches pourries sur lequel ouvrent leurs portes, sont pareilles à des bouches avides tournées vers le pèlerin qui grimpe péniblement. Elles crient famine et ne peuvent offrir qu’un chétif lit de camp, autour duquel rôdent la fièvre et la vermine. Peut-être, de cette dure misère naît-il une sorte de perfection. Tout ce qui doit pourrir est tombé ; ce qui subsiste prend un caractère éternel. Le château de Caritena, trophée de notre race, attend, comme une rose de Jéricho, qu’une imagination passante l’aide à refleurir.

Tout le jour je rôde sur les deux collines, dans l’église, sur toutes les pierrailles et, par l’étroit sentier du pic desséché,