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lent déployer pour reconquérir sur les Barbares une Grèce que l’Histoire, sinon la nature, leur a mise dans le sang.


ÉPILOGUE. — APRÈS DEUX ANNÉES


Après deux années, enfin, mon voyage prend forme dans mon souvenir, et la Grèce me parle utilement. Ce long recul fut nécessaire, pour que d’un tel discours, deux, trois conseils se dégageassent. Quand on a tenu des objets nombreux et nouveaux devant son regard, il faut laisser mourir les images qui ne peuvent pas vivre.

L’élaboration fut pénible. Ce n’était pas moi qui résistais aux puissances d’Athènes, c’était Venise, Séville, Tolède qui se débattaient en moi. Elles voulaient subsister. Athènes, par sa perfection, humilie, efface l’univers. Ces belles villes, mes anciennes favorites, menacées de glisser au rôle de servantes, me disaient d’une voix pressante :

— Tu penches à nous sacrifier. Que feras-tu de cette reine morte ? Elle ne peut qu’irriter en toi l’intelligence de ton irrémédiable subalternité.

Cette plainte de mes maîtresses eut une longue autorité sur mon cœur. Mais la cruelle Athènes poursuivait son irrésistible action. Et la querelle dut se taire quand je revis Venise, Séville, Tolède. Sur les canaux de Venise, je puis encore respirer, évoquer les heures d’enchantement que sa féerie, jadis, me donna, mais nulle fusée ne s’élève plus au-dessus de sa lagune. Elle est devant mon froid regard le cadre d’un grand feu d’artifice éteint.

Et cependant la despote, à qui je sacrifie de sûres amitiés, n’est pas devenue ma parente. Elle ne tient que ma raison. Et qu’est-ce que ma raison, qui me semble à certains jours une étrangère, une personne instruite, préposée de l’extérieur à mon gouvernement ? Je conçois, tant bien que mal, l’équilibre et l’harmonie de cette civilisation grecque ; je ne l’éprouve pas. Même après la leçon classique, je continuerai de produire un romanesque qui contracte et déchire le cœur.

Je reconnais les Grecs pour nos maîtres. Cependant il faut qu’ils m’accordent l’usage du trésor de mes sentimens. Avec tous mes pères romantiques je ne demande qu’à descendre des forêts barbares et qu’à rallier la route royale, mais il faut que les classiques à qui nous faisons soumission nous accordent les honneurs de la