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personne très mal élevée. Elle émaille sa conversation de termes d’argot ; elle a des façons de se présenter dans un salon avec une familiarité toute montmartroise qui sont des plus significatives ; il n’y a pas une maîtresse de maison, un peu scrupuleuse, qui soit prête à accueillir Mauricette. Surtout il n’y pas une femme qui, ayant vu s’allumer dans les yeux de son mari une certaine petite flamme, devant l’engageante verdeur de ce fruit parisien, ne s’empresse de mettre Mauricette hors de chez elle. Mme Dautran s’empresse d’accueillir la jeune fille, de l’installer entre elle et son mari. A coup sûr, elle se croit extrêmement habile, en profitant de ce moyen qui s’offre à elle de mettre un peu de gaieté dans son intérieur. Qu’importe que son mari reste pour Mauricette ? l’essentiel est qu’il reste. Et c’est ce qu’il y a de follement imprudent et de violemment paradoxal dans ce procédé de sauvetage si aventureux, qui a réjoui notre scepticisme de vieux Parisiens.

Le mérite de cette exposition réside d’abord dans la légèreté de touche dont l’auteur y fait preuve : M. Picard a su rendre supportable le personnage de ce Dautran, qui n’est en fait que le type si désobligeant du viveur vieilli. Il est encore dans l’art avec lequel l’auteur a sans cesse trouvé le trait significatif, le moyen de traduction matérielle qui nous met sous les yeux une situation et rend une idée sensible. Mais ce n’est là qu’une exposition. La pièce va commencer, et, par malheur, l’auteur n’a tiré de la situation ainsi posée que des effets prévus et un drame de sentimentalité convenue. Est-il besoin de dire que Dautran devient amoureux de Mauricette, qu’un scandale va éclater, que Mauricette quitte à temps la maison, et qu’elle a la chance de trouver un brave garçon qui l’épouse ? Tout finira bien : Dautran s’assagira, Mauricette fera le bonheur de son digne mari. Pas une minute nous ne sommes intéressés par cette fable où nous ne sentons à aucun instant l’accent de la vérité. Jeunesse est la promesse d’un talent qui vaut, semble-t-il, par la fantaisie spirituelle et l’observation ironique, plus que par le don du drame et de l’émotion.

C’est M. Tarride qui joue le rôle de Dautran. Il y met sa rondeur, sa bonhomie habituelles. Il est très convenablement secondé par M. Janvier, Mmes Marthe Régnier, Dux, Rebecca Félix.


Il est bien fâcheux que M. François de Curel, qui a de si beaux dons d’écrivain, se laisse aller de plus en plus à un dédain transcendant des exigences de la scène. Ses pièces ne sont plus qu’une conversation sous un lustre. Et il lui est si indifférent de se faire comprendre de