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Nous aurions voulu parler plus longuement que ne nous le permet la place dont nous disposons encore des derniers événemens de Russie : il faut se borner à en caractériser le sens général. Une répression vigoureuse a été exercée contre les révolutionnaires qui avaient établi leur centre d’action à Moscou. Pendant plusieurs jours la bataille a continué dans les rues et le sang y a coulé, trop abondamment à coup sûr, et l’humanité en gémit, mais moins toutefois que ne le font croire les récits des journaux. Le nombre des victimes a été fort exagéré. C’est d’ailleurs le sort et un peu la fatalité des journaux de ne raconter que les choses anormales, exceptionnelles, et de négliger tout le reste, de sorte que l’esprit du lecteur généralise dans le sens des incidens violens et tragiques et perd de vue, ou plutôt ne voit pas ce qui, tout à côté, y fait compensation. L’ordre a été gravement troublé à Moscou, mais non pas dans tout Moscou, et le résultat de la lutte engagée entre la troupe et les révolutionnaires n’a jamais été douteux. On pouvait se demander, au début, si l’armée serait fidèle : elle l’a été, et l’expérience qui a été faite sur ce point décisif a dissipé la plupart des craintes qui étaient nées dans les esprits. D’autre part, la révolution a montré une fois de plus la faiblesse de son organisation, et aussi celle de son principal moyen d’action qui est la grève. Il faut beaucoup d’argent pour soutenir longtemps une grève dont les grévistes sont les premières victimes, et il faut une discipline extrêmement forte pour la rendre générale. Or l’argent et la discipline manquent également en Russie. Pour la discipline en particulier, le fait n’est pas douteux, car la grève commençait sur un point et finissait en même temps sur un autre, sans union ni coordination. Au surplus, le principal danger, bien qu’il soit moins immédiat et moins visible, n’est pas dans les villes, mais dans les campagnes. Les intellectuels des illes demandent des réformes politiques, et ils ont bien raison ; ils ont tort seulement de les demander toutes à la fois et de les pousser à l’extrême, c’est-à-dire à l’absurde. Il est relativement facile, comme on vient de le voir, de les tenir en respect. Mais les paysans sont très indifférens aux libertés politiques : ils demandent des terres ou même s’en emparent, et si, on ne prend pas dès aujourd’hui les mesures nécessaires pour réaliser ce qu’il y a de légitime dans leurs revendications, on se trouvera, dans quelques mois, en face de la révolution agraire, infiniment plus redoutable que la révolution politique.

C’est cette dernière qui a été vaincue à Moscou ; mais elle ne le sera définitivement que si le gouvernement lui concède ce qu’il y a