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ni républicaine, mais ne se souciant en politique que de ses intérêts actuels et, comme ils lui paraissaient tous représentés par le gouvernement, s’attachant passionnément à ce gouvernement et à celui qui en était, au chef-lieu, le délégué. L’influence du préfet, loin de décroître, a trouvé dans le service militaire universel un regain de force, tandis que les décorations nouvelles, le Mérite agricole, les palmes, les médailles, lui apportaient toutes les recrues de la vanité. Si on ajoute à cette action gouvernementale, et opérant dans le même sens, les comités occultes qui recueillent les délations, donnent les mots d’ordre, surveillent les douteux, dressent les listes et préparent les manifestations plus ou moins spontanées de l’opinion, on aura l’ensemble des rouages qui marchent lentement en temps ordinaire et que l’approche des élections mettra en mouvement avec une puissance presque irrésistible.

Quarante années nous séparent des affiches blanches, et la candidature officielle n’a perdu que son étiquette. L’abus survit avec toutes ses conséquences quand les ministres vont, fort à propos, faire des tournées, accompagnés des futurs députés, lorsque préfets, secrétaires généraux et sous-préfets portent les croix et médailles dues aux recommandations du candidat, distribuent les faveurs, promettent des congés de moissons aux militaires, favorisent les œuvres d’initiative dues au député et se font gloire de les refuser au candidat d’opposition, lorsque toutes les lois d’encouragement à l’agriculture, à la mutualité, à l’épargne, au crédit agricole, aux assurances contre la grêle, contre la mortalité des animaux deviennent tour à tour l’objet de primes politiques. Qu’on ne s’y trompe pas : depuis quelques années, le nombre des faveurs dont dispose le pouvoir s’est considérablement étendu ; les Chambres s’en sont mêlées : les députés n’ont pas hésité à voter toutes sortes de subventions, sachant bien qu’ils frappaient une monnaie électorale.

Tout ceci n’est que le prélude des fraudes qui vicient directement les élections[1]. Nous avons parlé des abus d’influence

  1. Un projet de loi contre la corruption dans les opérations électorales a été discuté au Sénat le 8 décembre 1905, les 18 et 23 janvier 1906. Il est destiné à combler quelques lacunes de la jurisprudence, mais rien d’efficace ne sera accompli tant que restera impunie la menace partout répétée des agens du gouvernement disant aux électeurs : « Si vous votez pour le candidat qui déplaît au préfet, l’arrondissement n’obtiendra pendant quatre ans ni faveurs, ni subventions d’aucune sorte.