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chés sans motifs par des maires, prêts à payer d’audace en cas de réclamation et sachant d’ailleurs que le citoyen lésé n’oserait pas les poursuivre[1]. Avec la révision limitée à un court délai en janvier, avec les listes intangibles à dater du 31 mars, les maires qui agissent de la sorte sont presque assurés de l’impunité et tout à fait certains du succès de leur fraude pendant au moins une année. Ajoutez à ce fait coupable les additions irrégulières que le même maire n’a pas manqué de faire, et il sera facile de comprendre comment la majorité peut être changée en quelques semaines. Le malheur veut que les prétextes abondent : pour un secrétaire de mairie bien stylé par son chef, il n’est que trop aisé de noter une absence, un déménagement, un voyage d’un adversaire pour le rayer et de choisir parmi les journaliers des environs, parmi les travailleurs de passage, les amis qui feront triompher tel ou tel candidat. N’avons-nous pas vu des travaux publics rassemblant pour un canal ou un chemin de fer des équipes d’ouvriers et modifiant comme par enchantement l’opinion d’une commune[2] ?

Contre de tels coups d’arbitraire, que peut l’électeur ? que peut le candidat ? Ils interpellent le maire : le maire coupable se tait, le préfet laisse faire. À quel tribunal s’adresser ? À qui en appeler du pouvoir politique qui rit de ces bagatelles, valide le député et se moque du candidat battu ? Il faut trouver des juges qui dépouillent de leur masque ceux qui commettent ces délits, il faut introduire dans la loi des dispositions qui assurent le respect absolu de la liste, fondement du droit électoral.


III


Les préliminaires sont achevés : le jour de l’élection est arrivé ; on est réuni dans la salle de la mairie. Le maire, apportant à la lutte toutes les passions de son parti, a convoqué des affidés qui composent avec lui le bureau électoral : il est décidé

  1. Les poursuites seraient-elles suivies d’effet ? La Cour de cassation a jugé que les retranchemens opérés volontairement et de mauvaise foi par un maire sur les listes, au moment de la révision, en vue d’empêcher certains électeurs de voter, ne tombaient pas sous le coup de la loi. (Arrêt du 9 novembre 1878. Bull., n° 211.)
  2. Voir Un chapitre des Mœurs électorales en France, publié, en 1890, par M. Paul Leroy-Beaulieu, p. 11 et suiv. Il est impossible de lire un acte d’accusation contre les fraudes appuyé de faits plus précis.