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IV


Avons-nous exagéré le mal ? L’acte d’accusation est-il excessif ? À ceux qui le penseraient, il nous sera permis de répondre en citant M. Thiers discutant, en 1869, les fraudes électorales : « Le scrutin, disait-il, est dans les mains des maires. Me direz-vous que je veux outrager les maires ? Non, messieurs, (Interruption) la loi est soupçonneuse, elle est même quelquefois outrageante ; oui, toutes ces précautions sont souvent un outrage, car elles supposent de graves délits. Toute loi a le droit d’être soupçonneuse, car ce n’est qu’à ce prix qu’elle peut être riche en précautions. Eh bien ! quelles sont les précautions prises pour que le scrutin soit complètement respecté[1] ? » Et M. Thiers n’avait pas de peine à démontrer combien elles étaient insuffisantes. Le décret du 2 février 1852 est, par un fait de survivance vraiment étrange, la seule loi organique de cette date qui ait traversé, dans l’ordre politique, l’Assemblée nationale et les huit législatures qui l’ont suivie. Les lacunes de ses prescriptions avaient frappé les jurisconsultes, mais elles avaient passé inaperçues aux yeux plus indulgens des politiciens. Il fallut l’éclat des fraudes qui se multiplièrent dans une série de départemens, il fallut le procès de Toulouse en 1893, et quelques vérifications de pouvoirs dépassant en scandale la commune mesure, pour déterminer les Chambres à voter, peu de temps avant les dernières élections, la loi du 30 mars 1902, qui ressemble plus à une déclaration générale qu’à un texte précis. Formulée en un article, elle a pour but d’atteindre quiconque, par un acte frauduleux, a changé ou tenté de changer le résultat du scrutin. Nous ignorons si elle a été appliquée et il est bien loin de notre pensée de lui en faire un grief, une loi pénale, quand la magistrature est sujette à des défaillances, pouvant agir plus efficacement par la crainte qu’elle inspire que par une application toujours douteuse.

Encore faut-il que la loi réponde aux méfaits qui peuvent être commis. Or, si on veut bien entrer dans le détail de la confection des listes, de leur tenue, des renseignemens à prendre, des notifications à faire, des délais à observer, si on

  1. Discours du 2 avril 1869.