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s’animait en les résumant, il disait qu’il fallait couper le mal dans sa racine, supprimer cet instrument de corruption, enlever les pires tentations aux maires, aller chercher les garanties là où elles peuvent seules exister, en demandant non des services aux bureaux administratifs, mais des sentences aux magistrats ; il appelait de ses vœux le jour où il pourrait présenter et défendre une telle réforme[1].


V


Celui qui a entrepris de connaître à fond l’histoire de nos élections françaises ne peut se défendre d’une surprise. Les vérifications de pouvoirs ont donné lieu, dans nos Chambres, aux discussions les plus vives, les mémoires publiés par les candidats évincés, les discours de leurs amis sont remplis d’allégations très graves ; aucune précision ne manque : électeurs corrompus, pression exercée, falsification de listes, bulletins jetés par paquets dans l’urne, électeurs fictifs votant pour les absens ou les morts, annulation irrégulière des votes, tous les genres de délits électoraux apparaissent attestés par les témoignages écrits et signés les plus formels, et quand, écœuré de ce spectacle d’immoralité électorale, on ouvre un recueil de jurisprudence, un ouvrage de droit pénal, c’est à peine si on note quelques arrêts de justice. Comment expliquer ce silence des juges ? Il a plus d’un motif. Les dispositions pénales sont assurément insuffisantes. Croirait-on que les largesses en temps d’élection peuvent être aussi abondantes, aussi publiques, aussi générales qu’il plaira au candidat, et qu’elles ne tomberont pas sous le coup de la loi, s’il n’est pas prouvé qu’elles ont été faites sous la condition de donner ou de procurer un suffrage, que les offres ont été acceptées et qu’elles ont influencé le vote[2] ?

Les juges peuvent donc se dire désarmés ; mais les parquets sont faibles, les poursuites rares, la prescription de trois mois assez courte pour servir d’excuse au ministère public, heureux de répondre aux candidats que les faits sont prescrits. Les candidats eux-mêmes hésitent à user de l’action publique. À l’heure où tout leur effort se porte vers l’invalidation de leur adversaire, ils se

  1. Une proposition en ce sens a été déposée par M. Louis Passy, député de l’Eure.
  2. Cass., 9 janvier 85 ; Bull., 22. Cour de Toulouse, 2 janvier 1889.