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ans plus tard, elle renaîtra. Louis XVIII, rentré en possession de son royaume, installé en maître aux Tuileries, la rencontrera devant lui. Elle paralysera sa longue résistance aux prétentions de l’ultra-royalisme dont le Comte d’Artois s’est fait le champion et lui arrachera cette réflexion révélatrice de son impuissance et de son découragement :

— Croyez-vous qu’il soit facile de se faire obéir par son frère, lorsque, enfans, on a joué ensemble et dormi dans le même lit ?

Mais, si le Comte de Provence, avant de devenir roi, n’a pas manifesté la volonté d’être le maître, il n’en est plus de même lorsque le>trépas de Louis XVII, en juin 1795, met la couronne sur sa tête. Dès ce jour, sa correspondance change de ton. Ce n’est plus uniquement des avis et des conseils qu’il donne, mais des ordres. Quoique envers son frère, il en tempère l’expression par cette tendresse de langage, qu’il a toujours employée dans ses relations avec lui, sous les paroles affectueuses, à travers les précautions qu’il prend pour dicter sa volonté, elle s’affirme. Comme si la majesté royale imposait à celui qui en est revêtu de nouvelles formes, le tutoiement des anciens jours disparaît peu à peu presque complètement. Louis XVIII ne parle plus seulement en frère, en ami : il parle en roi ; il n’hésite pas à blâmer les initiatives que loin de lui, sans l’avoir consulté, s’en tenant à de longues habitudes, croit pouvoir continuer à prendre le Comte d’Artois.

Grande est la surprise de ce prince, plus vif encore son mécontentement. Il se soumet, car il ne voudrait pas être accusé de contester l’autorité de son souverain, mais ce n’est pas sans rancœur. Ce qu’il ressent, il ne parvient pas toujours à le taire. Quand il le laisse entendre, le Roi, que de nouvelles circonstances éloignent de plus en plus de son royaume, voit rééditer contre lui l’argument que, naguère, à Coblentz, et d’accord alors avec le Comte d’Artois, il opposait aux ordres de Louis XVI.

— Vous n’êtes pas libre, lui disait-il ; votre volonté est enchaînée ; les ordres que vous nous dictez n’en sont pas l’expression sincère ; ils vous sont arrachés par la contrainte ; nous y conformer, ce serait vous trahir.

C’est un langage analogue que maintenant lui tient à lui-même le Comte d’Artois. Ce frère dont il ne saurait suspecter le dévouement lui objecte qu’il est trop loin de la France pour connaître ce qui s’y passe, pour être bon juge des résolutions à