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correspondre ou encore avec un frère et ami. Jusqu’à ce que j’aie, reçu cette réponse, je continuerai mes expressions ordinaires d’une correspondance amicale. »

C’est en vain qu’il allait attendre cette réponse. Offensé à son tour et attristé par ces deux lettres, dont la seconde, loin de corriger l’effet de la première, l’avait aggravé, le Roi s’était promis de ne répondre ni à l’une ni à l’autre. Il ne lui convenait pas de donner de l’éclat à une querelle dont le retentissement eût été nuisible à ses affaires en réjouissant ses ennemis ; il lui répugnait surtout d’entourer son autorité, en l’employant vis-à-vis de son frère, de formes trop dures. Il ne répondit donc pas. Mais, pour laisser une voie ouverte à la réconciliation, il écrivit au maréchal de Castries qui se trouvait alors à une courte distance de lui à Wollfenbuttel, dans le duché de Brunswick. Lui ayant brièvement raconté les faits, il le prenait comme arbitre du différend qu’il n’avait pas voulu clore par un acte d’autorité.

Le maréchal professait pour Louis XVIII une admiration égale à son dévouement ; il n’eût pu admettre que le Roi eût des torts. Lui en eût-il reconnus, il n’en aurait pas moins pensé que Monsieur, en les établissant et en niant les siens, avait dépassé les bornes du respect et qu’en conséquence, c’était à lui à revenir le premier. Il le laissa entendre en lui transmettant la lettre que lui-même avait reçue du Roi. Mais le Comte d’Artois était buté. Sa réponse au vieux soldat vint prouver à ce dernier que la démarche qu’il avait faite auprès du prince allait à l’encontre du but qu’il s’était proposé. Monsieur s’attachait à établir qu’il n’avait aucun tort ; que la « réprimande » dont il demeurait blessé était imméritée et que la conduite de son frère envers lui témoignait d’une véritable ingratitude.

« Je me suis abandonné sans réserve pour servir mon frère loyalement, franchement, et, je peux le dire, avec le dévouement d’une amitié sincère. Depuis six ans surtout, où la mort du feu Roi a établi une différence marquée entre le Roi actuel et moi, j’ai veillé, surveillé toutes mes actions pour qu’il n’y en eût aucune qui pût laisser le plus léger prétexte de douter de mes sentimens pour lui. Je n’ai point provoqué la conduite qu’il a tenue envers moi. Je suis parfaitement sûr de n’avoir aucuns torts dont il puisse justement s’appuyer, car je ne saurais regarder comme tels le droit et le devoir qui m’ont porté à lui dire franchement et librement qu’il avait blessé mon cœur.