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C’est chez lui parti pris et système de ne rien cacher à son frère de ce qu’il a sur le cœur. Il met des mitaines pour l’écrire ; mais il l’écrit. Au surplus, il serait incapable de se contenir. Le seul effort qui soit en son pouvoir consiste à maîtriser sa plume toutes les fois qu’il pressent qu’elle va laisser échapper quelque parole blessante ou trop sévère. Cette victoire sur sa vivacité naturelle est de tous les instans. Il connaît par expérience les susceptibilités de Monsieur. Averti par les incidens qui ont failli les brouiller, il a trouvé le secret de ne rien taire de ce qu’il pense, sans provoquer cependant de nouvelles querelles. C’est ainsi qu’en février 1799, répondant au reproche que lui avait fait Monsieur de n’avoir pas confiance dans le gouvernement britannique, il s’en expliquait avec la visible et double préoccupation de ne pas s’emporter et d’empêcher cependant que ce reproche ne se renouvelât.

«… Vous me parlez toujours d’avoir confiance au cabinet de Saint-James. Définissons donc une bonne fois ce mot confiance. Est-ce de nous entendre et de marcher du même pied ? Il n’y a rien que je n’aie fait pour y parvenir, et je doute que le ministère britannique en pût dire autant : n’importe, je suis toujours prêt, et je me plais à croire qu’il a enfin senti combien nos intérêts sont étroitement liés. Est-ce une raison de dormir sur sa bonne foi, et de tenir d’avance pour bon tout ce qu’il fera ? Ce serait compromettre mon honneur, l’intérêt de la France, le mien, le vôtre, celui de vos enfans, de vos descendans, et de tous ceux qui portent et porteront à jamais notre nom. Ainsi, cela m’est impossible. Je sais fort bien qu’on peut agir pour ou contre moi, sans m’en prévenir, et sans que je puisse l’empêcher : mais je sais aussi, comme je vous l’écrivais, le 15 juillet dernier, que si je n’ai pas la force physique, je dispose de la force morale, et je suis aussi déterminé à l’accorder, si l’on veut agir de concert avec moi, qu’à la refuser, si l’on prétend exiger de moi une confiance aveugle. Je le répète sans croire avancer un paradoxe, ce ne sera pas moi qui mettrai le moins dans cette communauté. »

Le Roi devait croire que le constant effort qu’il faisait pour ne pas réveiller, en élevant la voix, les susceptibilités de son frère aurait pour conséquence, de la part de Monsieur, plus de circonspection, un plus vif souci de ne pas se donner l’air, en ses paroles et ses actes, de méconnaître l’autorité royale. Mais,