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au mois de juin 1799, il recueillait tout à coup la preuve que son effort avait été vain, que Monsieur n’était pas corrigé, qu’il continuait à agir à sa guise, à décider, à prononcer, à résoudre seul les questions les plus graves. Monsieur avait quitté Edimbourg, était venu à Londres pour conférer avec les ministres britanniques et avait négligé d’en prévenir son frère, qui n’en fut instruit que par les gazettes anglaises.

Il les avait lues depuis plusieurs jours lorsque arriva enfin par la poste une lettre de Monsieur. Mais le prince se contentait d’annoncer qu’il était à Londres, attendant, disait-il, une occasion sûre pour révéler les motifs de son voyage. Il parut au Roi qu’en la circonstance, ce désir d’une occasion sûre n’était qu’un prétexte. Pour communiquer entre eux, les deux frères avaient un chiffre dont ils se servaient couramment. Si Monsieur, cette fois, ne s’en était pas servi, c’est qu’il voulait dissimuler au Roi les raisons de son déplacement et l’objet de ses conférences avec le Cabinet de Saint-James.

Le trait était d’une inconvenance telle qu’il sembla impossible au Roi de l’attribuer uniquement à la légèreté de Monsieur ; il y avait eu volonté de « couvrir un mystère, » peut-être même d’user de représailles. À ce moment, en effet, s’étaient engagées entre les agens du Roi et les prétendus agens de Barras les fameuses négociations dont nous avons parlé ailleurs[1]. Lié par la promesse du secret, le Roi avait dû les taire à Monsieur. Mais il se pouvait que de fâcheuses indiscrétions eussent appris au prince ce qu’on lui cachait et qu’offensé par le silence de son frère, il eût voulu répondre par un mauvais procédé à ce qu’il considérait comme un acte de défiance, « procédé fort injuste, écrit d’Avaray dans une note qui est sous nos yeux, car la loi de réciprocité n’est pas applicable ici. Lorsque le Roi promet le secret à l’égard de tous, c’est un devoir pour lui de le garder même envers Monsieur. Au contraire, c’est un devoir pour Monsieur d’instruire le Roi de tout ce qui intéresse essentiellement le service de Sa Majesté. Lui eût-on même imposé la loi du secret, cette obligation contraire aux lois de la souveraineté et aux devoirs d’un sujet serait nulle. »

C’est la même thèse qu’expose le Roi dans la réponse qu’il fait à son frère. « Il n’y aurait qu’un cas où la réticence fût

  1. Voyez notre Histoire de l’Émigration, t. II, p. 241 et suivantes.