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et persécuter l’autre. De sorte que toute l’histoire intérieure de la France depuis un siècle se ramène à un duel tragique dont personne encore ne peut prévoir quelle sera la dernière issue. Un moment, sous Napoléon, il y eut, sinon réconciliation véritable, tout au moins trêve et accalmie. « La France de l’Eglise et la France de la Révolution, maintenues un instant par sa rude poigne, non pas unies, mais rapprochées de force dans un commun servage, allaient, après sa chute, se trouver aussi divisées qu’elles l’étaient avant son avènement. » De fait, Napoléon tombé, c’est d’abord le parti de la « réaction intellectuelle » et de la « contre-Révolution, » dont Joseph de Maistre, Chateaubriand, Bonald et Lamennais ont été les principaux théoriciens, qui l’emporte et qui triomphe. Après une éclipse partielle, sous la monarchie de Juillet, il reconquiert ses positions perdues au lendemain des journées de Juin et pendant les premières années du second Empire. Mais, depuis cette époque, et en dépit de certains retours offensifs, la France noire perd chaque jour du terrain : à l’heure actuelle, c’est, comme on sait, au tour de la France rouge à décimer, proscrire et ruiner sa rivale.

Ce qui rend le conflit actuel plus aigu et plus terrible que jamais, c’est que les deux ennemies ont poussé leurs principes jusqu’à leurs dernières conséquences. Par le Syllabus, l’Eglise catholique a consommé sa rupture avec la société moderne ; d’autre part, elle a fait alliance avec les classes dirigeantes, méconnu « le droit des humbles, » et elle réprime impitoyablement toutes les tentatives de rénovation intellectuelle et morale qui se font jour dans son sein. Mais, d’autre part, il y a une Eglise de la libre pensée : elle a ses dogmes, ses rites et ses prêtres, elle a même ses catéchismes ; elle enseigne une religion, la religion de la science. Cette religion nouvelle a eu pour fondateur l’un des représentais les plus accomplis de la « mentalité romaine, » à savoir Auguste Comte, dont on sait l’admiration pour le catholicisme et les projets d’alliance avec les Jésuites. À ce degré d’opposition, — et de ressemblance, — comment les deux Eglises rivales pourraient-elles s’entendre ? Comment les deux Frances pourraient-elles s’unir enfin et se réconcilier ?

Les voici veillant en tête à tête auprès du corps d’Emma Bovary. Deux cierges brûlent au chevet du lit. Bournisien veut prier. Homais lui demande