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à quoi peut servir la prière. Et les deux adversaires se lancent à la tête des argumens victorieux et des citations accablantes. Ils s’échauffent ; ils se congestionnent, ils parlent à la fois sans s’écouter. Enfin, de guerre lasse, ils s’endorment. Boumisien lâche son bréviaire et se met à ronfler.


« Ils étaient là, en face l’un de l’autre, le ventre en avant, la figure bouffie, l’air renfrogné, après tant de désaccord, se rencontrant enfin dans la même faiblesse, et ils ne bougeaient pas plus que le cadavre à côté d’eux qui avait l’air de dormir. »


Je ne sais pourquoi, — reprend M. Seippel, — cette scène grotesque et tragique me revient souvent à la pensée et prend à mes yeux la portée d’un symbole. La femme qui est étendue là, ce n’est plus Mme Bovary morte, c’est la France malade. Fût-elle plus malade encore, fût-elle à l’agonie, Homais et Bournisien, hypnotisés par leur idée fixe, n’en continueraient pas moins à son chevet leur querelle sans fin. Et cette querelle pourrait bien être le fond même de l’histoire de France à notre époque.


Ainsi parle, ainsi raisonne M. Paul Seippel. Que faut-il penser de son diagnostic ?


II

Il y a tout d’abord un fait qu’il a très bien vu et fort nettement mis en lumière : c’est l’origine foncièrement religieuse de tous nos conflits actuels, c’est l’importance extraordinaire, et l’on serait tenté de dire souveraine et peut-être unique, du problème religieux dans les préoccupations françaises depuis qu’il y a une France, et qui pense, et qui agit. « L’histoire de France tout entière, écrit M. Seippel, — et c’est la première phrase de son livre, — l’histoire de France tout entière est dominée et déterminée par la question religieuse. » On ne saurait mieux dire à notre avis. A quelque point de vue qu’on se place pour étudier l’histoire de notre pays, — politique ou social, philosophique ou même littéraire, — dès que l’on creuse un peu profondément, on rencontre l’éternelle et vivante question de la croyance. Quel beau livre, par exemple, il y aurait à écrire, — Vinet l’avait bien pressenti, — sur le Problème religieux et l’histoire de la littérature française, et que de choses, en littérature même, il pourrait expliquer ! Et assurément, en d’autres pays, à certaines époques, la question religieuse a aussi profondément remué et divisé les esprits que chez nous : l’Angleterre d’Henri VIII et l’Allemagne de Luther n’ont sans doute pas été moins bouleversées par la