Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/667

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

après m’être fait convenablement prier… sous prétexte de danger… à de belles Italiennes. Puis, la curiosité étant à son comble, je me suis laissé séduire, et j’ai raconté deux anecdotes tellement secrètes, tellement dangereuses, que je ne puis les avoir écrites. » Quand il est présenté à lord Byron, c’est sa réputation d’acteur particulièrement renseigné sur l’épopée de la veille qui, seule, lui attire pour un instant l’attention du dédaigneux patricien. Et, lors de ses tardifs débuts diplomatiques, il croit encore devoir préparer, avant de se rendre à un dîner officiel, « les phrases les plus piquantes de sa gibecière. » Au surplus, rien de moins assuré que l’authenticité de ses récits, surtout quant au rôle qu’il s’y prête, et nous touchons ici à l’un des traits les plus caractéristiques de sa personnalité morale. Jean-Jacques s’avouait « fabuleux. » Stendhal se reconnaît porté à la « mascarade, » entendez par là supercherie, plus ou moins innocente : toute sa vie n’a pas été autre chose en effet qu’une longue mascarade, si l’on veut bien employer cet euphémisme aux lieu et place du mot plus explicite de mensonge. Son biographe Colomb, plus porté cependant à atténuer qu’à souligner les faiblesses d’un parent déjà glorieux, a dit de lui : « Il convenait qu’il mentait à tout venant comme chante la cigale, » et Mérimée, l’un de ses plus intimes familiers, ajoute : « Personne n’a su exactement quels gens il voyait, quels livres il avait écrits, quels voyages il avait faits. »

N’est-il pas caractéristique que le mensonge officiel ait commencé pour lui dès son début dans la vie active, avec ce faux certificat par lequel ses protecteurs lui assurèrent l’épaulette sans aucun stage préalable, à la façon des marquis de l’ancien régime ? Cette initiale duperie a de quoi nous rendre circonspects sur les autres épisodes dont il émailla plus tard le récit de sa courte carrière militaire. Tout en reconnaissant que son attitude sous l’uniforme dut être correcte et même courageuse à l’occasion, nous avons le droit de rester sceptiques, et devant le certificat accordé par le général Michaud à son jeune aide de camp, et surtout devant cette prétendue conquête de deux canons dont il se vantait volontiers par la suite, bien qu’elle ne soit pas même mentionnée dans ce document déjà suspect. Son Journal avoue sans détours les fréquentes hâbleries dont il régale Mlle Louason. Il détaille à cette beauté cruelle, pour la faire rougir de ses rigueurs, tantôt ses amours triomphantes avec