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fendre, on trouva de quoi vivre dans les riches villages polonais. Au total, il n’y eut rien de si simple, et ce fut à Paris seulement que, pour sa part, il commença de se figurer qu’il avait échappé à quelque grand péril.

Tout cela est fort bien, et des témoins oculaires ont en effet rendu justice à son sang-froid, en particulier lors du passage de la Bérésina, qu’il sut traverser assez tôt pour éviter toute difficulté. Mais il ne faut point oublier que cette insouciance lui était singulièrement facilitée, au moins en comparaison du reste de l’armée. Il voyagea sans cesse en calèche, absolument libre de ses mouvemens, avec, sans aucun doute, des privilèges personnels sur la nourriture et sur les fourrages qu’il était précisément chargé de procurer. Puis, le jour où il sentit son énergie céder, il prit tout simplement la poste, sous prétexte de santé, et se rendit d’une traite à Kœnigsberg, sans regarder derrière lui, pour assister, le soir même de son arrivée, à une représentation de la Clémence de Titus. Une pareille retraite est certes plus analogue, si nous acceptons sa singulière comparaison, à un « verre de limonade, » que ne le fut, dans la neige implacable, celle des fantassins de nos régimens décimés.

Il est superflu de poursuivre l’énumération des hâbleries que lui inspirèrent les épisodes ultérieurs de sa carrière officielle, la sûre érudition de M. Chuquet ayant fait bonne justice de ces fantaisies, et démontré qu’il n’est jamais permis de croire Beyle sur parole. Que ce soit par exemple au sujet de ses opinions républicaines d’enfance, ou à propos de ses duels, dont un seul fut réel, et d’ailleurs peu dangereux, ou encore à la lecture des deux articles nécrologiques anticipés qu’il écrivit sur lui-même en 1822 et 1837, et qui sont véritablement « menteurs comme des épitaphes, » partout on le prend la main dans le sac, en flagrant délit de fausseté[1]. Faussetés plus vénielles furent ces innombrables pseudonymes, dont on a compté jusqu’à soixante-deux dans sa correspondance. On sait qu’il attribua presque tous ses ouvrages à des auteurs fictifs, dont M. de Stendhal ne fut que le plus écouté du public à ses débuts, et, en conséquence, le plus souvent utilisé dans la suite par son inventeur. A la longue,

  1. Signale-t-il, dans la Peinture en Italie, p. 237, un trait de mœurs observé en Allemagne, vers 1809 probablement, il le datera de 1795, le 15 octobre. Il était à cette heure au collège de Grenoble. C’est bien là mentir pour mentir « comme chante la cigale. »