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l’aurait été sous un autre roi. Tant il est vrai, suivant l’ingénieuse comparaison de Froude, que les faits historiques sont pareils aux lettres de l’alphabet, à qui, en les choisissant et combinant de telle ou telle façon, on peut faire signifier toutes les conclusions que l’on veut !

Heureusement, les faits tiennent beaucoup plus de place que les conclusions, dans le livre excellent de M. Martin Hume. Et peut-être la vilaine figure d’Henri VIII, telle qu’elle ressort de ces faits, et quelque vraisemblable qu’elle nous apparaisse, n’est-elle pas si absolument conforme à la réalité que d’autres faits, omis par M. Hume, n’aient de quoi la compléter ou la modifier, pour la rendre un peu moins différente de celle que nous ont dessinée Froude et M. Pollard : mais certes je ne crois pas que personne, depuis le vieil Ancelot jusqu’à miss Strickland, auteur d’une copieuse galerie biographique des Reines d’Angleterre, nous ait encore offert autant de renseignemens, ni aussi sûrs et aussi précieux, qui nous aident à reconstituer les figures des six femmes du « Barbe-Bleue anglais. » Précisément parce qu’il a toujours évité, avec un soin extrême, les descriptions pittoresques, et les expansions sentimentales, précisément parce qu’il a toujours eu en vue, surtout, le rôle historique des six infortunées créatures dont il nous raconte l’avènement et la déchéance, son récit nous amène, si je puis dire, plus directement en face d’elles que les apologies et les réquisitoires de leurs précédons biographes, qui, à fort peu d’exceptions près, n’ont voulu voir que le côté romanesque de leurs aventures. M. Hume ne nous parle pas de leurs robes, que nous a complaisamment détaillées miss Strickland ; et de leur caractère et de leurs sentimens il se borne à nous transmettre ce que lui en ont appris les innombrables papiers d’archives qu’il a consultés : mais il nous les présente, pour la première fois, dans le milieu où elles ont vécu ; il nous révèle les intrigues diverses où elles ont pris part ; il s’efforce de les étudier en historien, avec plus de sérieux qu’on n’a fait jusqu’à lui. Et il se trouve, en outre, que les portraits qu’il nous trace d’elles, ou plutôt que nous dégageons, nous-mêmes, de l’ensemble des faits historiques qu’il produit devant nous, concordent, le plus exactement du monde, avec ceux que nous ont laissés, de chacune de ces reines, les peintres les plus adroits et les plus fidèles du temps, Holbein, Jost van Cleef, Lucas Cornelisz, tous ces honnêtes portraitistes allemands ou flamands qu’Henri VIII entretenait à sa cour afin que, grâce à eux, la postérité pût apprécier le charme des princesses qu’il avait daigné honorer de son attention. Presque dans tous les cas, ces portraits peints et les témoignages écrits qu’a rassemblés M. Hume se