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complètent, réciproquement, de la façon la plus singulière : et de leur confrontation résulte, pour nous, une série d’images si naturelles, si humaines, si pleines de vie et d’expression pathétique, que nous avons peine à admettre qu’elles ne ressemblent pas, au moins en partie, aux originaux qu’elles nous représentent.


Voici d’abord Catherine d’Aragon. De celle-là, un maître plus grand qu’Holbein, plus habile à déchiffrer le secret des âmes, nous a laissé un touchant et magnifique portrait ; car bien que la tragédie d’Henri VIII, que l’on a coutume d’attribuer à Shakspeare, ne soit sans doute pas entièrement de lui, lui seul a pu écrire les deux scènes fameuses où Catherine, en présence du Roi, puis des cardinaux, explique les motifs qui la font s’opposer à l’annulation de son mariage. Ému des souffrances de la Reine, et de l’incontestable beauté morale de son caractère, Shakspeare lui a prêté des paroles d’une noblesse si simple et si pure que ces deux scènes suffiraient à nous la rendre chère immortellement. Mais le créateur d’Hamlet était un de ces peintres de génie qui, comme Titien on comme Rubens, négligeaient volontiers certains traits véritables de la figure de leurs modèles, lorsque ces traits risquaient de détruire l’intime harmonie de la vision poétique qu’ils avaient rêvée ; et le fait est que sa Catherine d’Aragon unit à la fermeté, toute royale et d’ailleurs parfaitement authentique, de son attitude, une grâce et une douceur féminines que nous ne découvrons guère, par exemple, dans un très intéressant portrait de cette princesse qui appartient aujourd’hui à la Galerie nationale de Portraits de Londres, œuvre d’un peintre anonyme de l’école d’Holbein. Au lieu de l’exquise créature qu’a imaginée le poète, sœur des Cordélia et des Desdémone, nous apercevons une femme corpulente et massive, étrangement dépourvue de tout attrait féminin, et dont le dur visage au front trop haut, aux yeux fixes, aux lèvres serrées, annonce une obstination orgueilleuse et hargneuse, un esprit sans souplesse et sans pénétration. Il n’y a rien de tout cela qui, en vérité, ne se lise clairement dans le portrait de Londres ; et c’est exactement tout cela que nous retrouvons dans les premiers chapitres du livre de M. Martin Hume.

Assurément, la fille d’Isabelle la Catholique a été une martyre ; mais assurément on se tromperait à vouloir la tenir pour une sainte. On se tromperait même à supposer qu’elle ait toujours eu cette droiture de caractère que la plupart de ses biographes ont vantée chez