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PETITES-MAISONS


Osakâ, 18 mai.

Des rues, des ruelles grouillantes aussi étroites que celles de Canton, mais moins sales et sans dorure ; puis un pont de briques et de fer sur un large fleuve tout parsemé de voiles et de sampans ; des perspectives infinies de maisons basses dont les auvens et les appendices surplombent les eaux ; puis des ruelles où l’on a tendu des linges pour les protéger du soleil et où je crains, à chaque tour de roue, que mon kurumaya n’écrase un enfant ; puis des ponts de bois et des canaux où les saules et les pins tordus se mirent entre les fumées des vapeurs ; et des ruelles encore, et des ponts ; une concession européenne qui ressemble de loin à un quai de Bordeaux ; et toujours des canaux, et des ponts, et de la foule, et des ruelles comme les galeries interminables d’un bazar, des ruelles dont les échoppes agitent au courant d’air leurs étalages de kimono multicolores et d’écharpes chatoyantes.

Enfin la rue s’élargit et monte. La course désordonnée se ralentit. Nous avons atteint les hauts quartiers des temples. Même impression qu’en France dans un quartier de couvens et d’églises. Mais il ne faut pas lever la tête, car, au-dessus des deux grands murs silencieux qui bordent la route, l’angle retroussé d’une pagode nous rappelle que nous sommes au Japon. La vie presque tumultueuse d’Osakâ expire au bord de ce calme monastique. Tous les vingt et un du mois, des milliers et des milliers de pèlerins gravissent la pente où nos kurumaya halètent. Aujourd’hui, je n’y rencontre pas une âme.

Nous voici au temple et à la pagode de Tennoji. Je voudrais bien voir la cloche que les prêtres y sonnent afin que le Bouddha conduise les morts au Paradis. Mais nous n’avons que le temps d’admirer leurs fantasques gargouilles et le panorama de la ville qui s’étend, sous cet entassement d’églises, avec ses toits confus, les lignes brillantes de ses flots et à l’horizon ses cheminées d’usines.

Tout près de là, dans un petit hôtel japonais, dont les murs de bois neuf étincellent encore des larmes d’or [de la résine, et que, derrière une haie de camélias, un grand cèdre parfume, on attend notre visite. Frêle, le cou ridé, le nez busqué, les yeux