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administration, ce qui ne pourrait se faire qu’en lui offrant un tableau raccourci de l’état où se trouve l’Empire dans le moment où il en a pris les rênes. »

Nous avons cité cette page tout entière, non pas seulement parce qu’elle atteste chez le jeune homme de vingt-cinq ans qui l’a écrite une rare sagesse et un don de pénétration plus rare encore, mais aussi parce qu’elle nous montre sous un jour clair et précis le caractère de l’empereur Alexandre, mélange singulier d’indolence et d’énergie, de volonté et d’indécision, sa mobilité et le peu de prise qu’il offrait à ceux qui tentaient de lui arracher des décisions fortes et définitives. Il était de bonne foi lorsque, à son avènement, il proclamait la nécessité de réformes immédiates ; mais ce ne furent là que des velléités généreuses ; il les eut bientôt oubliées, et bien qu’il eût pris une active part aux nombreuses séances que durant deux années tint le Comité secret, il perdit de vue ce qu’il avait dit comme ce qu’il voulait faire ; il ne parla plus que vaguement de Constitution ; il cessa même d’y penser ; l’affranchissement des paysans resta à l’état de rêve et la création d’une classe de cultivateurs libres fut l’unique résultat des laborieuses études auxquelles s’était livré le Comité secret. Il en fut de même des autres projets de réformes, qui avaient été abordés dans l’intention de réorganiser le Sénat et les ministères. Ces projets ne furent pas exécutés ou le furent incomplètement et ils entraînèrent dans la suite plus d’inconvéniens que d’avantages. De si maigres résultats couronnant tant de longs et laborieux efforts, il y avait bien là de quoi décourager le collaborateur impérial dont le grand-duc Nicolas vient de nous révéler le rôle et les aspirations. Aussi ne doit-on pas s’étonner de le voir, après un passage au ministère de l’Intérieur comme ministre-adjoint, accepter en février 1806 d’aller à Londres en qualité de plénipotentiaire extraordinaire.

Pour permettre d’apprécier l’importance de la mission qu’il allait y remplir, il faut rappeler brièvement quel était à cette époque l’état de l’Europe. Depuis 1802, une nouvelle passion était née dans le cœur d’Alexandre. Jaloux de la gloire de Napoléon, il voulait entrer en lutte avec lui et jouer le premier rôle dans la coalition qui se préparait contre la France. Lorsque ces visées ambitieuses s’étaient emparées de son esprit, le Comité secret n’était pas encore dissous et il avait eu à se prononcer sur l’opportunité d’une rupture finale avec la France. Alexandre n’y